© Hugo Glendinning

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

On achève bien les poussins.

Deux candidats pour un jeu absurde orchestré par un animateur bateleur retors. Deviner pour l’un un mot parmi tous ceux de la langue anglaise choisi par son adversaire. Improbable, voire impossible. Il n’y a rien à gagner, rien, sinon à recommencer. Encore et encore. Après trois échecs prévisibles, malgré le suspense orchestré, et la sortie du vaincu, le jeu ne s’arrête pas. Vite, vite, les trois échangent leurs rôles, leurs costumes, et rejouent la même scène, à l’identique ou presque. La séquence se répète ad libitum, ad nauseam. Variation sur un même thème, usé jusqu’à épuisement des interprètes. Tout se déglingue, tout se délite et s’effondre malgré les vains et rares efforts pour sortir de cet enfer. Et tout recommence. Jusqu’à oser, et en pure perte, la triche. Il ne manque rien à ce jeu rapidement infernal, ni les rires et les applaudissements  enregistrés, bientôt crispant, effrayant même, ponctuant l’inéluctable et pathétique déréliction des candidats habillés piteusement en poussin jaune criard. Pas même l’humiliation d’une danse croupion imitant la poule…

La compagnie anglaise Forced Entertainment, signe avec Real Magic un petit chef d’œuvre d’humour noir et de poésie râpeuse. Et plus encore. Bien sûr on pense à Beckett et son « Essayer. Rater. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux ». Et c’est bien de ça qu’il s’agit ici, le tragique de notre existence. Cette énergie monstre à ne jamais renoncer devant un échec attendu. Ils sont magnifiques et grandioses à voir ces trois sur scène, personnages pathétiques de plus en plus défaits, dynamitant  les codes de la représentation, poussant loin et avec brio l’art de la répétition pour l’expérimentation radicale, du non-sens métaphorique. Et d’une énergie dingue. Celle du désespoir sans doute. C’est très subtil, très intelligent, habilement et rondement mené et cette descente en enfer inéluctable, sous les applaudissements et les rires continus, cette mise à nu des mécanismes de notre folie ordinaire, au-delà d’une critique des jeux télévisés qui ne sont que le reflet et le symptôme de notre aliénation dans une société du spectacle de plus en plus prégnante (pas pour rien qu’un des trois mots qui revient comme un mantra est argent) – reflet que porte ironiquement le titre de cette création « magie de la réalité » – dévoile le vide abyssal de notre humanité en déroute, résumé à une compétition féroce de bêtises, absurde et dérisoire, se répétant à l’infini. Le comique de répétition n’est qu’une tragédie répétée. A moins que ce ne soit l’inverse.

Real Magic spectacle de Forced Entertainment

Mise en scène de Tim Etchells
Conception et interprétation Jerry Killick, Richard Lowdon, Claire Marschall
Avec la contribution de Robin Arthur et Cathy Naden
Scénographie Richard Lowdon
Lumières Jim Harrison
Son Greg Akenhurst, Doug Currie
Assistante Anna Krauss
Musiques électroniques et montage son John Avery
Loops Tim Etchells
Musique Grave de Telemann
Fantasia n°1 en si bémol majeur par Aisha Orazbayeva
 

Du 18 au 24 septembre 2017 à 20h, dimanche à 17h
Relâche le jeudi 21 septembre

 
Théâtre de la Bastille
75 rue de la Roquette
75011 Paris

Réservations 01 43 57 42 17
www.theatre-bastille.com

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