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Quoi / Maintenant, spectacle de tg STAN au Théâtre de la Bastille

Jan 26, 2018 | Commentaires fermés sur Quoi / Maintenant, spectacle de tg STAN au Théâtre de la Bastille

 © Koen Broos

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Absolument jubilatoire, follement décapant ! Tg STAN reprend ses quartiers au Théâtre de la Bastille pour une nouvelle création, Quoi / Maintenant, et derechef, comme à leur habitude, explose pour notre bonheur les conventions théâtrales qu’il renverse cul par-dessus tête. Toujours cette impression de voir la pièce s’écrire sous nos yeux, avec le public engagé pour témoin d’un processus comme en cours d’élaboration, public très vite happé et pris dans les rets de ces comédiens malicieux et retors. Ça commence par un prologue, un texte de Jon Fosse, Dors mon petit enfant, et l’on se demande bien pourquoi donc ce joli préambule, si poétique, si calme, est suivi d’une comédie aussi féroce, agitée, comme à son habitude, de Marius von Mayenburg, Pièce en plastique. Soit une femme de ménage, Jessica, engagée par un couple aisé, de gauche, écolo, alcoolique – c’est fou ce que chez tg STAN l’alcool circule, les verres de vins s’accumulent comme une toise du malaise qui s’étend peu à peu – et sans préjugés, affirme-t-il, et totalement débordé ; elle artiste ratée et lui médecin qui rêve d’humanitaire, affublé d’un fils en pleine crise de puberté lequel ne lâche pas sa caméra, objet transitionnel, dont le foyer, la cuisine particulièrement et cela a son importance, est envahi régulièrement par l’artiste conceptuel Haulupa, vrai parasite, qui n’a de cesse de remettre en question le concept de la famille, la société en général, l’art, et ses confrères en particulier. La présence de Jessica très vite cristallise les mensonges et les faux-semblants de cette famille en apparence idéale mais en surchauffe permanente. La tolérance affichée, comme leur sourire et leur bienveillance polie, n’est qu’un masque social de circonstance qui très vite tombe avec fracas et révèle les préjugés de classes tenaces, la haine des pauvres, le racisme rance. Le couple, déjà lézardé depuis longtemps, frustré sexuellement, craque, explose et la famille se disloque. C’est un vrai-faux boulevard, joué comme tel et sans porte qui claque, le plateau est nu, mais une authentique comédie satirique bien vacharde et d’une férocité absolue et magnifique. Marius von Mayenburg est toujours aussi impitoyable qui gratte, arrache le vernis craquelé de ces bourgeois libéraux et dénonce ainsi de façon si jouissive et cruelle, si juste pourtant, nos hypocrisies, nos mensonges, sur la famille, l’art et la société. Tg STAN n’est jamais aussi à l’aise que dans ces univers foutraques, borderline qui se déglinguent très vite et qu’il dézingue à son tour avec maestria et un évident bonheur. Avec cette faculté, voire cette aisance, pour les comédiens de ne jamais en faire des tonnes, même dans l’hystérie, l’air de ne pas y toucher, d’être encore en train de chercher leurs marques, leur texte, quitte à avoir un trou – vrai ou faux – comme ce soir-là, de plonger dans la brochure et de reprendre la scène, hilares, un éclat de rire qui se communique à la salle. Une façon de dénoncer la théâtralité, toujours ce pas de côté qui leur est propre, certes, mais mieux encore, mettre les spectateurs dans leurs poches et de les mener par le bout du nez là, exactement là, au cœur de l’œuvre, de ses enjeux les plus ténus, de sa langue maniée de façon si véloce. Et de les y maintenir jusqu’au bout. Cette langue ici d’une acide causticité qui ronge les chairs et met à nu, jusqu’à l’os, cette bourgeoisie vacillante dont les valeurs sont bien plus conservatrice que libérale. Car c’est bien la langue et son usage subversif, jusque dans la litote, son pouvoir de domination qui est ici aussi exploré par tg STAN. Jessica parle peu, écoute, entend mais elle aura le mot de la fin, une réponse définitive. La pièce est bavarde comme un boulevard effréné mais son propos est fort concentré et dense, poisseux. Et ce qui est formidable c’est bien cette apparente facilité des comédiens, illusoire bien sûr, de toujours mettre à nu avec grande intelligence les failles, les fragilités, les contradictions des personnages exposés sans fard. En appuyant nonchalamment là où ça fait mal, leur donner une sacrée épaisseur, même et surtout dans la laideur, une humanité aussi pitoyable, pathétique et hilarante soit-elle sans jamais être dupe que tout cela n’est que du jeu, un « si magique » affirmé, réitéré. On joue à jouer et c’est bien plus corrosif. Une distance heureuse qui souligne et soulève cette férocité et cette violence en évitant le piège de la morale ainsi désamorcée. On ne juge pas, on donne à voir… Mais revenons à Jon Fosse qui ouvrait si joliment cet époustouflant jeu de massacre, ce furieux chamboule-tout où nul, hormis Jessica, n’est épargné. Sans révéler la fin, imparable et nette, le renversement est stupéfiant et doublement qui dénonce à la fois la théâtralité de tout ça et renvoie subtilement à ce prélude soudain mis dans une perspective pour le moins inattendue et ironique. Chez tg STAN il n’y a jamais de hasard.

 

Quoi / Maintenant une création de tg STAN

d’après Dors mon petit enfant de Jon Fosse en prologue à la pièce Stück Plastik (pièce en plastique) de Marius von Mayenburg

De et avec Jolente De Keersmaeker, Damiaan De Schrijver, Els Dottermans, Frank Vercruyssen
Lumières Thomas Walgrave
Costumes  An D’Huys
Technique Tom Von Aken, Iwan Van Vlierberghe, Tim Wouters
Production technique tg STAN

Du 23 janvier au 2 février à 21h
Du 5 au 9 février à 20h
Relâche les dimanches et le samedi 3 février

 

Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris

réservations 01 43 57 42 14

www.theatre-bastille.com

Tournée 2018

12, 12 et 13 janvier Théâtre Saint-Gervais Genève

 

 

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