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« Quand le diable s’en mêle » de Georges Feydeau, Mise en scène de Didier Bezace, Les Fêtes Nocturnes / Château de Grignan.

Juin 30, 2015 | Commentaires fermés sur « Quand le diable s’en mêle » de Georges Feydeau, Mise en scène de Didier Bezace, Les Fêtes Nocturnes / Château de Grignan.

ff article de Denis Sanglard

 

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Chez Feydeau l’enfer c’est le couple. C’est donc tout naturellement que Didier Bezace invite le diable à la table de ces bourgeois dont le confort domestique n’est que l’illusion d’un paradis perdu depuis fort longtemps. Ils sont veules, pleutres, lâches et de mauvaise foi. Maris terrorisés, femmes tyranniques, rarement l’inverse, c’est la guerre des sexes sous le vernis écaillé bourgeois. Feydeau, acide, se gausse de toute l’hypocrisie de l’institution du mariage, de ces petits bourgeois aux aspirations médiocres enfermés dans le conformisme crasseux. Vaudeville à la mécanique parfaitement huilée, farce où le grotesque le dispute au pathétique, vision pessimiste et noire, le rire salvateur, énorme parfois, balaie toutes les prétentions idiotes d’une petite bourgeoisie confortablement et petitement assise sur ses privilèges et son égoïsme de classe. Il ne peut rien y avoir de tragique dans ces existences étriquées où le quotidien même participe de l’absurde. Feydeau dissèque le couple et c’est tout l’irrationnel de l’institution (sacrée ?) du mariage bourgeois qui nous explose à la figure. L’enfer c’est l’autre et vice-versa.

Didier Bezace réunit sous le titre évocateur « Quand le diable s’en mêle » trois courtes pièces au dénominateur commun ravageur, le couple. « Léonie est en avance », « Feu la mère de madame » et « On purge bébé ». Et le diable est bien là, introduit et comme chez lui dans ces ménages qui vacillent et s’entrechoquent. Sage-femme, porteur de missive funèbre, enfant capricieux, il est celui par qui tout s’enraye et que s’emballe la mécanique. Révélateur des failles de ces couples déchaînés qui immanquablement finissent par s’engouffrer, chuter dans ces béances. La grossesse de Léonie, la solitude exaspérée d’Yvonne, l’angoisse maternelle exacerbée de Julie engloutissent les maris et empoissent les relations de revendications et de récriminations acerbes, cuites et recuites. Tout s’emballe donc. Et ce qui caractérise le théâtre de Feydeau c’est bien ce jeu dynamique, cette mécanique à friction qui ne cesse d’avancer jusqu’à ce que le ressort casse. Et que l’on remonte avec obstination. Une énergie qui fait sens jusque dans le non-sens. Les acteurs ici sont parfaitement rôdés à ce jeu si particulier. L’ensemble de la troupe mène cet étrange sabbat conjugal au galop. Le diable mène avec brio le bal des conjoints maudits, enchainés par les liens du mariage. Philippe Berodot campe un diable cauteleux à qui l’on ne donnerait certes pas le bon dieu sans confession… Inquiétante sage-femme, troublant messager et surtout inénarrable Toto, 7 ans tout de même, il est celui par qui les catastrophes annoncées éclatent enfin. Car pour dîner avec le diable il faut une longue cuillère… Et puis il y a Clotilde Mollet, impayable Julie de « On purge bébé ». L’enfer c’est bien elle. Têtue comme une bourrique, instinct maternel en sautoir, elle mène son monde jusqu’à la purgation finale avec une obstination sans faille. Clotilde Mollet, bas en berne et papillotes en bataille, peignoir lâche, amène sans aucun doute par sa pugnacité virant à la tyrannie domestique cette folie, sans caricature, qui manque quelque peu à l’ensemble, un peu trop sage il est vrai. On rit beaucoup, beaucoup certes, mais sans doute manque-t-il à toute cette énergie, cette ronde maritale infernale, une extravagance, une vraie folie qui aille bien au-delà des conventions du genre. C’est une lecture encore conventionnelle et par trop littérale, même si le diable s’en mêle. Tout cela est rondement mené, formidablement rodé et joué. Trop sans doute pour ne pas nous surprendre. Et puis il manquait un acteur essentiel, resté dans l’ombre mais bien présent dans la pénombre relative du plateau, le château de Grignan et sa façade si particulière. Pourquoi donc l’avoir ainsi oblitéré par ce choix, texte et scénographie – un vaste praticable tout à la fois table-lit et bureau- qui, sans rien retirer à la qualité de cette création, sans doute ne se prêtait pas au lieu ?

Quand le Diable s’en mêle
D’après trois pièces de Georges Feydeau
Adaptation et mise en scène de Didier Bezace
Collaboration artistique, son et accessoires Dyssia Loubatière
Scénographie  Jean Hass
Lumières  Dominique Fortin
Costumes  Cidalia da Costa
Assistée de Anne Yarmola, Sylvie Barras, Hafid Bachiri
Maquillage/Coiffure  Cécile Kretschmar
Assistée de Sophie Niesseron
Chorégraphie  Cécile Bon
Régie Générale  Léo Thévenon

Avec Philippe Bérodot, Thierry Gibault, Ged Marlon, Clotilde Mollet, Océane Mozas, Lisa Schuster, Luc Tremblais

Du 26 juin au 22 août 2015

Les fêtes Nocturnes
Château de Grignan
Réservations : 04 75 91 83 65 / 04 75 91 83 50
www.chateau.ladrome.fr

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