Critiques // « Projet Mata Hari : Execution » de Jean Bescós aux Bouffes du Nord

« Projet Mata Hari : Execution » de Jean Bescós aux Bouffes du Nord

Mar 17, 2011 | Aucun commentaire sur « Projet Mata Hari : Execution » de Jean Bescós aux Bouffes du Nord

Critique de Dashiell Donello

Simon Abkarian réinvente une Mata Hari féerique dans l’illumination d’un cabaret onirique

Dans le bois de Vincennes des salves retentissent. Les oiseaux ont arrêté leur chant. C’est une aube naissante en octobre 1917. La belle époque disait-on. Le projet Mata Hari, alias Margaretha Geertruida Zelle, née en 1876, prend fin. L’envoûtante danseuse  refuse le bandeau qu’on lui propose et souffle, sur sa main, un ultime baiser aux soldats du peloton d’exécution. L’espionne H 21 est fusillée pour intelligence avec l’ennemi dans les douves de la forteresse de Vincennes et gît sur la fange de l’histoire. Personne ne réclame son corps qui est remis au département d’anatomie de la faculté. L’histoire de Mata Hari a suscité de nombreuses polémiques, mais « L’œil de l’aurore » est devenue aujourd’hui une légende. Les plus grandes actrices l’ont incarné au cinéma : Greta Garbo, Marlène Dietrich, et Jeanne Moreau.

© Jean Bescòs

Je ne suis pas coupable, je suis hollandaise

L’âme de celle qui disait : « Je ne suis pas coupable, je suis hollandaise » vole comme un vent albinos sur la scène des Bouffes du Nord. L’incarnation de Mata Hari représentée par Catherine Schaub Abkarian se dévoile et danse voluptueusement sur une estrade lumineuse et circulaire façon piste de cirque. Un pur plaisir. De l’émotion à fleur de peau. Son personnage se raconte au son des grelots qui tintinnabulent une inde rêvée. Non. Mata Hari n’est pas une princesse Javanaise, qu’importe ! Son costume suggestif, magnifié sous les feux de la rampe, enchante le public. Elle dit :

« Je suis née sous le signe des hommes… Les trois premiers m’invitent à la vie, m’indiquent le chemin. Les trois suivants créent mon succès et bâtissent mon destin (certains m’ont aimé, mais aucun ne m’a épousée) puis trois autres provoquent mon déclin. Enfin les trois derniers sont là pour d’un dernier coup de main sceller le complot qui d’avance est signé. L’argent, la guerre, l’amour leurs servent d’appât, pour accomplir l’oracle décidé en hauts lieux. »

L’espace vide

En plus d’une mise en scène créative et épurée, Simon Abkarian réalise une scénographie digne du maître du lieu, Peter Brook. Un espace vide. Mais rempli de la présence charismatique des artistes. Sa direction d’acteur est une construction qui donne à chaque action : un état, une vision et un don. On pense à Kleist (1777-1811) et son texte : sur le théâtre de marionnette. Du plaisir intense que procure la grâce des marionnettes. Une grâce que Simon Abkarian localise clairement chez l’acteur. Où les fils seraient dans un corps et où l’esprit serait le marionnettiste. A titre d’exemple ce coup de théâtre quand, Catherine Schaub Abkarian, avec quelques fils rouge dans la bouche, devient une démone de théâtre Kathakali et danse son exécution. Du grand art. Notre système pileux se dresse sur notre peau par tant d’émotion et ce final nous fait exulter de joie.  Les comédiens sont de précieux métronomes dans ce cabaret onirique qui va de l’humour au tragique en passant même par le trivial. Monsieur Loyal (Philippe Ducou) à la gestuelle dansée et narrative, s’invite parfois comme une ombre qui colle à la chair de Mata Hari. Il représente les personnages qui croiseront la route de la fausse princesse javanaise aux pieds et aux mains frottés de henné. La musicienne Macha Gharibian, pianiste virtuose, nous transporte au centre de l’émotion et de l’harmonie avec l’état juste du présent.

Pour sa pièce, Jean Bescòs nous dit :
« Une voix contient plusieurs voies, Mata Hari n’avait plus qu’à faire son entrée. Va-t-elle révéler ses secrets d’une femme prise aux fils de sa conscience et de sa chair ? »

In fine le metteur en scène dans sa note d’intention nous livre son approche de la pièce : « Le texte une fois entre nos mains, nous respirons. Oui, il y a dans l’écriture de Jean Bescòs un élément indispensable aux acteurs. Le souffle. Le souffle des mots, de la pensée, des corps, de la musique, tout y est. Nous avons grâce à lui évité l’écueil du spectacle biographique et bourgeois. Grâce à son travail d’écrivain, nous sommes entrés dans la vie de Mata Hari devenue mythe : Une vie excentrique et libre donc répréhensible et condamnable. »

Quant à nous, nous sommes heureux d’avoir vu du très bon théâtre.

Projet Mata Hari : Exécution
De : Jean Bescós
Mise en scène : Simon Abkarian
Avec : Catherine Schaub Abkarian, Philippe Ducou, Macha Gharibian (La Pianiste)
Assistance à la mise en scène : Pierre Ziadé
Création musique : Macha Gharibian
Création lumière : Jean-Michel Bauer
Création son : Antoine de Giuli
Scénographie : Simon Abkarian
Costumes : Simon Abkarian réalisés par Louise Watts
Travail de la voix chantée : Tamia Valmont

Du 15 mars au 2 avril 2011

Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis boulevard de la Chapelle, 75 010 Paris – Réservations 01 46 07 34 50
www.bouffesdunord.com

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