À l'affiche, Critiques // Poussière, écrit et mis en scène par Lars Norén, à La Comédie-Française

Poussière, écrit et mis en scène par Lars Norén, à La Comédie-Française

Fév 13, 2018 | Commentaires fermés sur Poussière, écrit et mis en scène par Lars Norén, à La Comédie-Française

© photo Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Le crépuscule des vieux. Voilà plus de trente ans qu’ils reviennent là, dans cet endroit au milieu de nulle part, en bord de mer. Vieux touristes, vieux curistes, pauvres gens qui n’ont pas les moyens d’aller ailleurs. Réunis là, assis sur leurs chaises aussi déglinguées qu’eux, à scruter le crépuscule sur la mer, à raconter leur vie, leurs morts. Ces morts qui les hantent et la mort qui vient. Le temps ici s’est arrêté, le présent se vit à l’aune du passé, le futur n’est jamais évoqué. Depuis combien de temps sont-ils là, à vrai dire eux même n’en savent rien. Le présent est aboli, c’est le temps de la mémoire. Chacun remonte ainsi le fil de sa vie, fragments par fragments. Dire avant que de mourir ce qui fut, la vérité sans doute, enfin, sans fard. Et bientôt chacun de disparaître sans que nul ne s’étonne. Revenir à la poussière. Hanter à leur tour la mémoire de ceux qui restent. Poussière, formidable pièce de Lars Norén qui en assure lui-même la mise en scène. Cartographie intime de la vieillesse, de son naufrage, de son drame. Lars Norén n’élude rien. Ce ne sont pas de glorieux vieillards. Ils n’ont rien de héros tragiques. Humbles, ils se sont perdus dans une vie bien trop grande pour eux. Là, sur cette grève, ils ont froids, ils ont faim, ils sont perdus, ils se battent, ils s’insultent, ils ne s’écoutent plus ou pas vraiment, ils râlent, ils agonisent doucement, séniles qui retournent à l’enfance. Ils parlent de la mort, beaucoup, dans l’espoir d’apprivoiser la leur. Ils meurent enfin, sans gloire, comme ils ont vécus. Tout ça est d’une mélancolie poignante, d’une vérité crue, d’une poésie réaliste qui vous empoigne sèchement. Mais ce qui transparaît c’est la vie, aussi moche soit-elle, qui innerve chacun des personnages. Des restes, des fragments d’une existence que n’occulte pas le discours sur la mort. Les comédiens, tous remarquables, ont dans leur partition délicate ménagé des silences, des regards bientôt brouillés dans lesquels se lovent précieusement cette vie à laquelle ils s’accrochent encore, malgré tout et malgré eux… Dévoilée abruptement comme par effraction, échappée, cette vie-là, comme un cœur-battant, est bouleversante. En creux elle s’immisce malgré tout et ne fait pas tout à fait renoncer. Et donne son rythme à la représentation. Un monde flottant où le temps semble comme aboli, suspendu. Le temps de la représentation lui-même s’efface et plonge le spectateur dans un entre-deux étrange. Aussi étrange que cette scénographie, cet espace quasi vide, ensablé, encadré à jardin et cour de hauts murs, ouvrant au lointain sur un mystère, l’au-delà qu’ils franchiront bientôt. Il faut accepter ce rythme-là, singulier, ralenti, qui parfois, brièvement, s’affole avant que de s’essouffler épousant ainsi la pulsation cardiaque et chaotique, intime, de ces vieillards qui ne renoncent pas tout à fait, pas encore. Il faut entendre ces silences bavards de taiseux que plus personne n’écoute. Lars Norén a ciselé chacun des personnages. Les acteurs leur ont donné une compassion sans réserve et sans aménité dans une mise à nue sans pudeur mais toute de délicatesse rêche. Ces vieillards, même lâches, même irascibles, devant la mort présente, s’ils n’ont pas de grandeur, ont une déchirante et dramatique humanité. Ils ne contrefont pas la vieillesse, ils ne la jouent pas mais la projettent dans un espace mental personnel qui envahit le plateau et la salle. Un travail minimaliste, minutieux, fait de gestes anodins et quotidiens, parfois incongrus, autant de signatures individuelles qui ouvrent sur les mystères d’une vie, son essence, qui de fait vous explosent à la figure en une déflagration violente au soir de celle-ci. C’est à cela que Lars Norén parvient magistralement. Et la réunion de ces onze qui ne bougent quasiment pas de leur chaise ou ne se déplacent pas sans elles ne manque cependant pas d’humour. Un humour caustique, grinçant comme leurs articulations. Par la confrontation des uns et des autres et malgré le sujet qui les unis. Ou par ce sujet précisément. Leurs dialogues, souvent fragmenté, involontairement surréalistes. Oui on rit de leur hargne, leur jalousie, leur mesquinerie. Un rire qui s’étrangle parfois. On s’émeut de ces vies étriquées, de leur peur. Cette mise en scène est une véritable partition, un travail choral précis, voire chorégraphique d’une finesse d’exécution qui vous poigne comme un requiem, une cérémonie des adieux.

 

Poussière écrit et mis en scène par Lars Norén

Traduction Aino Höglund et Amélie Wendling
Scénographie Gilles Tachet
Costumes Renato Bianchi
Lumière Bertrand Couderc
Son Léonard Françon
Travail chorégraphique Glysleïn Lefever
Collaboration artistique Amélie Wendling

Avec la troupe de la Comédie-Française : Martine Chevalier, Anne Kessler, Bruno Raffaelli, Alain Lenglet, Françoise Gillard, Christian Gonon, Hervé Pierre, Gilles David, Danièle Lebrun, Didier Sandre, Dominique Blanc

Et les comédiens de l’académie de La Comédie-Française : Matthieu Astre, Juliette Damy, Robin Goupil, Alexandre Schorderet

Et les enfants en alternance : Maxime Alexandre, Margaux Guilloux, Rosalie Trigano

En alternance du 10 février au 16 juin 2018
Matinées à 14h, Soirée à 20h30

Comédie-Française
Place Colette
75001 Paris

Réservations 01 44 58 15 15
www.comédie-française.fr

 

Be Sociable, Share!

comment closed