ƒƒƒ article de Denis sanglard
« Mon corps est un livre des morts », « une œuvre d’art », « Il appartient à l’histoire de l’art ». Pas de forfanterie là-dedans. Un peu d’humour certes mais une vérité. Olivier Dubois affirme tout simplement, naturellement, la place qu’il occupe dans le champ de la danse contemporaine. Parce qu’il a au long de plus de 60 créations participé au bouleversement de la danse de la fin des années 80 à aujourd’hui, interprète des chorégraphes les plus novateurs et clivant, chorégraphe à son tour d’une profonde originalité. Avec ce corps hors norme et cette rage en sautoir pour défier la critique et ceux qui lui avaient affirmé qu’il n’avait pas sa place dans ce domaine. Trop gros, trop tard. Oui, celui à qui le chorégraphe Andy de Groat, disparu récemment, devant ses doutes et les ricanements de la presse lui répondit « J’aime ton corps de patate » comme un viatique libératoire, Olivier Dubois a su s’imposer comme un interprète hors-norme et plus encore. Exigeant, audacieux, rageur. Dans cette nouvelle création, « Pour sortir au jour », il se met à nu au sens figuré et au sens propre. Une performance d’une générosité folle, dingue, drôle et terrible à la fois. Epuisante. C’est comme il le dit à une dissection qu’il nous invite. Seul sur le plateau, à vif, au plus près des spectateurs, sans artifice aucun, sans avoir au préalable répété, il propose de revisiter de façon aléatoire ce répertoire dont il est le dépositaire. Chaque œuvre est tiré au sort. « Je suis sang » (2005) de Jan Fabre ouvrait la performance. Puis ce fut « Petite anatomie du désir » (2002) de Gilles Verrière qui ne fut dansé que deux fois. « L’après-midi d’un faune » qui fut la première pièce de sa compagnie, en 2008. « Roméo et Juliette » de Preljocaj. « La danse des Eventails » d’Andy de Groat. « Personne n’épouse les méduses » de Preljocaj encore. Et pour clore « Tragédie » chorégraphié par lui-même. Mais il y eu des surprises, non dénué d’humour. Ainsi qui sait qu’il fut danseur auprès de Céline Dion à Las Vegas au début des années 2000 ? Ce qui nous vaut un moment d’anthologie et de stupéfaction, irrésistible de drôlerie. Et dans ce rituel, ce tirage au sort proposé, il lui est demandé comme un streap-poker de retirer un vêtement à chaque fois. C’est donc pieds nus et sans chaussette, ayant refusé, enfin presque, de retirer son caleçon, qu’il termine cette performance de haute-volée. Mais au-delà cette performance ce qui est interrogé là, c’est la mémoire du corps. Celle qu’un danseur porte en lui, au plus profond. Qu’est-ce que ce corps retient ? Pourquoi se cabre-t-il soudain ? Pourquoi-là n’a-t-il strictement rien retenu ou simplement ce geste-là plus qu’un autre ? Dans cette performance qui le dévoile, la danse parfois se dérobe, s’absente soudain. Le trou. C’est au mystère de l’interprète, sa fragilité, que nous touchons. Dépositaire d’une œuvre, vivante, fuyante ou toujours prégnante. Quelles traces dépose-telle en lui ? Et en nous. Mais ce qui fait la valeur d’un danseur comme Olivier Dubois ce n’est pas tant sa technicité au demeurant imparfaite et dont on se contrefiche. Non, c’est combien il transcende la partition imposée pour donner à chaque geste, à chaque enchaînement, à chaque pas, chaque chorégraphie son poids d’humanité. Le mouvement est sans doute imparfait mais il est terriblement juste. Olivier Dubois est un danseur pudique mais qui dépasse cette impudeur pour atteindre une vérité absolue, parfois tragique et bouleversante, en chacune de ses interprétations ou simple apparitions. Se dessine en creux un destin, un engagement ferme au service d’un art exclusif, hors des sentiers rebattus, dont il est aujourd’hui un des danseurs et chorégraphes majeurs. Oui, il fait désormais partie de l’histoire de l’art, rien d’immodeste à l’affirmer. Et il y quelque chose de bouleversant. On le voit là, se dépassant devant nous, portant au plus haut chaque œuvre comme en urgence, fouaillant, explorant ce corps singulier pour lui donner toute sa valeur, extirper avec force cette mémoire chorégraphique dont il le dépositaire et le gardien vigilant et parfois amnésique. Il se confie aussi et là on devine combien la rage, la pugnacité, l’humour, les rencontres l’ont porté au sommet. « J’ai rien fait de cool dans ma vie » lâche-t-il en confidence, essoufflé, essoré, et c’est bien ce qu’on devine. Et puis il y a deux séquences clef, celle appelée « la glorification » où il est demandé à une poignée de spectateurs de reproduire le scandale de « Je suis sang » dans la cour d’honneur du Palais des papes. Injures et programmes lancés vers les interprètes. Ce sont les vrais mots, comme autant de crachats, qui sont dits là. On comprend la détermination d’Olivier Dubois, sa force et sa fragilité, dont la source du désir de danser donne lieu à un final joyeux, où soudain roi des dance-floors, il s’éclate pailleté d’or sur une piste improvisée où nous sommes à notre tour conviés pour un ultime tour de danse. Sans doute le secret de sa danse tient à ça, le plaisir, rien que le plaisir pur de danser.
Pour sortir au jour création et interprétation Olivier Dubois
Régie générale et son François CaffeneDu 22 au 26 janvier à 19h30
Le 104
5 rue Curial
75019 Paris
Réservations 01 53 35 50 00
www.104.fr
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