Critiques // « Pornographie » de Simon Stephens, mise en scène Laurent Gutmann à la Colline

« Pornographie » de Simon Stephens, mise en scène Laurent Gutmann à la Colline

Nov 20, 2010 | Aucun commentaire sur « Pornographie » de Simon Stephens, mise en scène Laurent Gutmann à la Colline

Critique de Dashiell Donello

« On asservit bien mieux les peuples avec la pornographie qu’avec les miradors. »
Alexandre Soljénitsyne

Une pornographie à rebours sur les sept âges de la vie et une intimité livrée à la transgression. C’est la belle proposition du metteur en scène Laurent Gutmann, à la Colline.

La pièce de théâtre, « Pornographie », de Simon Stephens, a été écrite en octobre 2005, trois mois après les attentats-suicides perpétrés dans les transports en commun londoniens. Elle a une structure divisée en sept tableaux, dont chacun racontent une transgression. De la plus défendable à la plus détestable. Le secret professionnel publié, l’autorité professorale violentée, l’inceste fraternel, le suicide extrémiste, et bien d’autres encore. Plusieurs histoires sont décrites par des personnages ordinaires dans l’indifférence de la société où ils ont vu le jour.

© Élisabeth Carecchio

« (…) Ils étaient anglais. Aussi anglais que les fis hand chips. Aussi anglais que Wayne Rooney (footballeur). Aussi anglais que Benny Hill. Aussi anglais que Mark E. Smith (leader du groupe the Fall) C’est précisément cela qui m’a incité à écrire sur les attentats : qu’ils soient un pur produit de la culture contre laquelle ils étaient dirigés, » dit Simon Stephens.
La scénographie de Mathieu Lorry-dupuis et de Laurent Gutmann, nous montre une génération actuelle aux sept âges de la vie. Celle d’Internet et des actualités en boucle vingt quatre heures sur vingt quatre dans un pays, l’Angleterre, et une ville, Londres. Tous les comédiens sont présents du début à la fin sur le plateau, dans un espace hyper-réaliste. Au lointain, on peut voir, derrière une baie vitrée, un appartement avec toutes les pièces : salle de bain, chambre, cuisine, salon.  L’avant scène est vide, c’est l’espace de jeu. « (…) Les acteurs y vivent comme s’ils acceptaient d’être complètement transparents, de s’exhiber dans tous les gestes de la vie quotidienne. Et là, dans la durée de la représentation, devant le public, ils vont aller plus loin, raconter des choses qu’on ne voit pas. Ce que je veux montrer, parce que la pièce le dit, c’est qu’aller encore plus loin dans le dévoilement, c’est en fin de compte recréer un espace de mystère et d’intimité », nous dit Laurent Gutmann.

© Élisabeth Carecchio

Veillez à ne pas dépasser la ligne jaune

Il serait préférable de vous en remettre à votre propre interprétation, à vos critères culturels, à vos principes et éthiques, si vous cherchez une définition valable concernant le concept de la pornographie. Car la  représentation des choses obscènes se perçoit selon l’indifférence ou l’intérêt que l’on met dans sa propre moralité. C’est pour cette raison qu’une définition, qui ferait l’adhésion de tous, est bien difficile à concevoir. La pornographie évolue à mesure que les siècles passent. Ce qui était obscène hier, est caduc aujourd’hui. Les pornographes de jadis, s’ils revenaient parmi nous, seraient bien surpris de la pornographie, télévisuelle et médiatique, de l’actualité du XXIe siècle. Alors dépasserons-nous encore la ligne jaune ?
C’est une fiction, avec un travail de troupe. Le présent de l’actualité relie les personnages. Il y a donc le comme si du théâtre et la distanciation du jeu, les scènes sont arrêtés par les comédiens (il claquent dans leur main pour finir une scène). Cela va du rire aux larmes : « Tu ris ou tu pleures ? » dit un personnage à sa sœur, sans deviner vraiment ce qu’elle fait. « Les personnages la légitiment: ils confortent l’idée que l’ennemi n’est plus extérieur, qu’il ne vient pas du dehors, qu’il est au-dedans, parmi nous ; que non seulement l’ennemi est intime, mais que l’ennemi, c’est l’intime. Que nous sommes tous des ennemis potentiels de la société, et de nous-mêmes. » Laurent Gutmann

© Élisabeth Carecchio

La bonne mise en scène de Laurent Gutmann est menée sans transition, comme un journal télévisé où l’on passe d’un génocide à la dernière star de la télé réalité, où le drame côtoie la chanson de variété, où les images de l’enfer sont muettes et la transgression prolixe. Le texte de Simon Stephens est remarquable. On le félicite de situer son histoire dans l’actualité des hommes, ce qui n’est pas une mince affaire aujourd’hui. La distribution de qualité est bien servie par Arnaud Churin, Lucas Partensky, Maryline Cuney, et Yvonne Leibrock. Une heures cinquante d’une grande intensité humaine pour un public qui sort reconnaissant de cette invitation à l’intelligence.
« J’ai envie de partir sur un vol long-courrier. (…) J’aime les écrans, les cartes qui s’affichent au dos du siège devant nous. (…) On survole des zones de conflit. On survole l’Irak. On survole L’Iran. (…) Et la Tchétchénie. Sur le vol de long-courrier. Sur la route des vacances. Avec des sandales qu’on a achetées avec la lanière dorée et la fleur rose en plastique. » Extrait de Pornographie.

Pornographie
Texte : Simon Stephens, « Pornography »
Traduction de l’anglais : Séverine Magois
Mise en scène : Laurent Gutmann
Scénographie : Mathieu Lorry-Dupuy, Laurent Gutmann
Costumes : Axel Aust
Lumières : Marie-Christine Soma
Son : Madame Miniature
Maquillage, perruques : Catherine Saint-Sever
Assistant à la mise en scène : Jonathan Châtel
Avec : Arnaud Churin, Maryline Cuney, Reina Kakudate, Yvonne Leibrock, Pauline Lorillard, Serge Maggiani, Lucas Partensky, Jean-Benoît Souilh

Du 18 novembre au 19 décembre 2010

Théâtre National de la Colline
15 rue Malte-Brun, Paris 20e
www.colline.fr

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