Critiques // « Pornographie » de Simon Stephens au Théâtre de l’Épée de Bois / Festival des Écoles

« Pornographie » de Simon Stephens au Théâtre de l’Épée de Bois / Festival des Écoles

Juil 02, 2010 | Aucun commentaire sur « Pornographie » de Simon Stephens au Théâtre de l’Épée de Bois / Festival des Écoles

Critique de Bruno Deslot

Ne vous fiez pas aux apparences !

L’ESAD-Paris (Ecole Supérieure d’Art Dramatique) ouvre la seconde session du Festival des écoles du théâtre public, organisé par le Théâtre de l’Aquarium, avec une pièce, de l’auteur anglais Simon Stephens, Pornographie, mise en scène par Laurent Gutmann.

Un collage de sept tableaux présentés à rebours, comme cette bombe qui explosera dans le métro londonien en juillet 2005, propose une succession d’instantanés, de compositions dramatiques et cyniquement burlesques, mettant en scène un portrait de groupe dont les personnages n’ont rien en commun mis à part un présent dont seule l’actualité, constitue le trait d’union entre toutes les scènes.

Une actualité plaçant la Grande-Bretagne au centre du monde et pour cause, Londres est pressentie pour accueillir les JO de 2012 ! Un grand événement dont tout le monde parle, dans les écoles, les bureaux, les rues, les magasins, les parcs et les maisons – il y a comme un bourdonnement dans l’air. Le métro passe, et chaque rame semble abandonnée un peu du quotidien de ces anglais qui vivent dans l’euphorie du moment ! Il y a la jeune mère et enseignante, arrimée à son bébé, le frère et la sœur qui entretiennent une relation incestueuse, cet homme qui tente l’espionnage industriel, le lycéen passionné par sa professeur qu’il tente de violer, cette femme de 83 ans se masturbant devant des extraits de films porno… puis il y a la préparation d’un attentat dans le métro, une transgression supplémentaire qui tisse la trame de ce long voyage vers la déflagration d’une société en proie au consumérisme ! Le 7 juillet 2005, quatre attentats endeuillent Londres et fait 56 morts. Loin d’être des fanatiques, les auteurs de ces crimes menaient des existences parfaitement intégrées ! Horreur et incompréhension se mêlent et constituent le point de départ, pour Simon Stephens, pour l’écriture de Pornography. Chaque histoire de la pièce est celle d’une transgression menée dans le plus grand secret ! Dès le début de la pièce, Laurent Gutmann donne aux comédiens ce souffle nécessaire pour effectuer ce voyage sombre et désopilant de Manchester à Londres. Une direction d’acteurs remarquable pour servir un thème difficile, la transgression, qui d’ailleurs est celui de la saison 2010/2011 du Théâtre de la Colline où le metteur en scène proposera, dès le mois de novembre, la même pièce avec une distribution toute exceptionnelle. C’est soirée fut donc un bel avant-goût.

« Images de l’enfer. Elles sont muettes. »

Deux comédiens installent des trépieds à l’avant de la scène et les relient avec une bande de scotch jaune à rayures noires ! Il y a une limite à ne pas franchir ! Plaçant d’entrée de jeu le spectateur en situation de voyeur, le plateau se transforme en un espace brut sur lequel les 7 jours qui précèdent la dévastation, offrent le sombre spectacle d’une succession de tableaux où le quotidien des protagonistes, d’une banalité apparente, exhume des pulsions charnelles dans une comorbidité qui transpire la transgression. Consommation abusive d’alcool, de drogues, relayée par des viols, du voyeurisme, de la violence physique… tout est là pour accompagner la psychose collective d’un bout à l’autre de la pièce au rythme haletant des JO de 2012, thème récurrent évoqué à la hâte par des personnages en errance.

De longues tables, devant et derrière lesquelles sont placés des bancs accueillent les 14 comédiens de l’ESAD, prêts à pénétrer dans l’arène ! Situé en fond de scène, ce dispositif scénique, d’une grande simplicité, est suffisamment explicite pour que l’on comprenne que l’interprétation de Pornographie relève du collectif et reflète avec une étonnante justesse, l’esprit de troupe qui caractérise le travail proposé. Pas de scénographie prétentieuse, ni tape à l’œil, seulement des corps en errance livrant dans une puissante émotion toute la singularité du propos. La parole des uns est sans cesse relayée par celle des autres qui dans une démarche chorale, propose un quatuor poignant qui optimise la potentialité dramaturgique du texte. Du rythme, de la musique, des chansons fredonnées ensemble comme au lycée, les jeunes comédiens vont jusqu’au bout de leur engagement dans cette Pornographie du désespoir. Même si le texte souffre de quelques longueurs et de raccourcis un peu convenus, les comédiens mènent d’un bout à l’autre du voyage, les histoires qu’ils se sont appropriées avec une grande intelligence scénique.

Ils ont eu la chance de travailler sous la direction de Laurent Gutmann et restituent le meilleur de ce qu’ils peuvent donner avec une générosité sans concessions. Souhaitons leur bonne chance et beaucoup de succès dans leur vie professionnelle qui débute avec une proposition haute en couleur.

Pornographie
De : Simon Stephens
Par : l’ESAD (Ecole Supérieure d’Art Dramatique) – Paris
Traduction : Séverine Magois
Mise en scène : Laurent Gutmann
Assistant à la mise en scène : Rachid Marrouchi
Lumière : Gilles Gentner
Collaboration aux costumes : Axel Aust
Avec : Armelle Abibou, Petya Alabozova, Calypso Baquey, Valentin Capron, Sébastien Chassagne, Maryline Cuney, Emmanuel De Candido, Romain Duquesne, Cécile Dominjon, Maëlia Gentil, Thomas Moreno, Jean Pavageau, Luara Rojas Diaz, Angélique Zaini

Du 1er au 4 juillet 2010
Dans le cadre du
Festival des Écoles du théâtre public

Théâtre de l’Epée de Bois
Cartoucherie, Route du Champ de Manoeuvre, 75 012 Paris
www.epeedebois.com

www.esadparis.fr

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