Critiques // « Pomme d’Adam » de Victor Dekyvere au Théâtre de la Reine Blanche

« Pomme d’Adam » de Victor Dekyvere au Théâtre de la Reine Blanche

Avr 26, 2010 | Aucun commentaire sur « Pomme d’Adam » de Victor Dekyvere au Théâtre de la Reine Blanche

Critique de Bruno Deslot

Révolution !

Entre le trivial et l’oraculaire, l’inéluctable destinée de ceux que l’on brûlait sur les buchers et la nécessité d’une révolution, l’art se cherche, se meurt et ressuscite dans une forme inattendue.

Un vaudeville de mauvais goût s’arrime aux feux de la rampe sous le regard inquiet de l’auteur qui, dans une forme « sybilline », annonce une catastrophe à venir. Le doute s’installe, le public est réduit à peau de chagrin à mesure que les comédiens enchainent les effets comiques pour maintenir un texte d’une extraordinaire vacuité. Et l’art dans tout cela ? Il est menacé de mort et une révolution populiste s’ourdit, s’organise sous les ordres du Général qui, après avoir mis au pas le Clown et la musicienne, interrompt la représentation théâtrale pour imposer son diktat. Iphigénie renonce à la saucisse de Verdun et Stavros à son rôle d’exception dans une comédie qui devient réalité, selon le désir des deux histrions qui trahissent leur vocation théâtrale pour servir une révolution sans intérêt. Le cabaret déchu fait place à la télé réalité, remarquable outil de communication populaire, proposant d’assassiner un artiste en direct lors de l’émission qui, désormais remplacera toute forme d’expression artistique.

Une mort symbolique et joyeuse

Une intrigue d’une apparente simplicité, dont les actes s’enchainent à la hâte, nous livre toute l’intelligence et la finesse d’un texte écrit à la pointe du couteau, maîtrisant l’art de la rupture et du rythme. Alternant le lyrisme d’une langue riche et poétique avec celle, plus spontanée et expéditive du quotidien, Victor Dekyvere compose un ouvrage foisonnant de références littéraires qu’il emprunte aussi bien à Olivier Py qu’à Jackson Pollock. Difficile de ne pas penser à Monsieur Loyal, puis à Ré, annonçant que « La République est entrain de dévorer ses enfants. » dans Les Enfants de Saturne d’O. PY, lorsque l’auteur de Pomme d’Adam annonce une catastrophe. Une folie ironique et tourmentée, dans laquelle la confusion des genres, la quête identitaire, le désir refoulé ou la prégnance d’un cataclysme latent, s’expriment par décharges émotionnelles, par ondes sismiques qui pulvérisent le socle des certitudes. Maîtrisant des sources d’inspiration plus que nobles, l’auteur n’en perd pas pour autant sa propre identité parfaitement lisible tout au long du spectacle. La Pomme d’Adam, aurait pu être totalement dévorée puis digérée afin d’aller encore plus loin dans le propos. Mais ce n’est là qu’un point de détail qui ne gâche en rien l’exceptionnelle performance de l’auteur jouant avec les codes du comico-tragique avec une remarquable aisance. Portée à la scène, la proposition de l’auteur est dirigée et servie par une distribution d’une extrême justesse.

L’homme à la Pomme au ciel !

Un plateau nu, tout comme le jeune prostitué avec lequel vient de coucher le Général, nous plonge dans les ténèbres de la création menacée par un cataclysme imminent. La Sainte Parole est annoncée par l’auteur, maculé de rouge vers la fin de la pièce, pour incarner l’image christique du sacrifice ou de la peine sacrificielle à laquelle l’engagement artistique a du se soumettre. Un plateau monté sur roulettes, épicentre d’un monde qui s’essouffle, occupe l’espace improbable du monde des arts. Stavros et Iphigénie, s’arriment à cette chaloupe en déséquilibre comme les naufragés au Radeau de la méduse. Les corps se meuvent dans une parfaite maîtrise de l’absurde pour restituer un propos nerveux et toujours sur le fil, car la puissance comique de la pièce contraste toujours plus avec sa dimension tragique à mesure que les comédiens se lancent dans une interprétation sans concessions et en apparence, d’une grande liberté. Mais la mise en scène est millimétrée et optimise les qualités dramatiques de l’ensemble des interprètes qui, dans un tourbillon de mots, s’amusent. La compagnie prône un art total, mêlant les différentes disciplines artistiques comme la peinture, la musique, la danse ou la photographie, ce qui est tout à leur honneur mais n’apporte pas grand chose à l’ensemble de la proposition. Les comédiens portent l’oeuvre à bout de bras et c’est une distribution d’exception qui offre au public un moment de vrai théâtre. Un Général au regard sombre, au timbre de bronze, à l’allure d’une statue grecque, incarne un être complexe et touchant que l’on souhaiterait plus à l’aise dans son corps. Iphigénie, survoltée, excessive et pleine de ressources, possède une réelle puissance comique tout comme Stavros, d’une exactitude qui lui permet de s’offrir le luxe de toutes les fantaisies sans jamais tomber dans la caricature. Un Auteur dévasté et touchant de sensibilité, ostracisé aux confins du désespoir tout comme le Clown et la Musicienne qui forment un oratorio touchant de simplicité et de vérité. Rastapopoulos, au regard espiègle et charmeur, apporte quelques notes de fraîcheur à chacune de ses apparitions.

La compagnie du Poney créée en 2008 est promise à un bel avenir avec une proposition d’une telle qualité et servie par des comédiens d’une grande justesse.

Pomme d’Adam
Texte et mise en scène : Victor Dekyvere
Par : la Cie du Poney
Avec : Benjamin Tanguy, Mélodie Fontaine, Mathieu Beurton, Adrien Rohard, Thomas Lempire, Charlène Legros, Victor Dekyvere et Claire Tran (danse)
Assistante à la mise en scène : Clémence Pittillioen
Musiques originales : Fanny de Font Reaulx et Anne-Sophie Versnayen
Costumes : Erwinn Vialle
Scénographie : Victoria Vandeputte

Les 25 avril et 9 mai 2010

Théâtre de la Reine Blanche
2 bis Passage Ruelle, 75 018 Paris
www.reineblanche.com

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