Critiques // « Planète » par le collectif Les Possédés au Théâtre de la Bastille

« Planète » par le collectif Les Possédés au Théâtre de la Bastille

Juin 09, 2011 | Aucun commentaire sur « Planète » par le collectif Les Possédés au Théâtre de la Bastille

Critique de Hugue Bernard

Un homme et une femme sont sur scène. Seuls. Pas seuls en scène ensemble non, seuls chacun de leur côté de la scène. Paradoxalement, le paradoxe dramatique est contrefait… Le ton est donné : ici, pas d’illusion théâtrale, pas de convention partagée, on est dans l’artifice. Il n’y a pas vraiment de personnages, plutôt deux personnes, qui s’adressent au public.
Il y a donc un homme, qui se sent confusément exister, et une femme, qui doit bien exister quelque part, dans un encadrement de fenêtre. Cette femme ne voit pas cet homme, ne l’entend pas, n’interagit pas avec lui. Lui la voit et, comme les spectateurs, l’observe. Lui, il essaye d’être présent et de s’incorporer à la planète. Elle, c’est la possibilité d’une rencontre, la potentialité de l’amour. Parce qu’en somme, c’est d’amour qu’il s’agit, et de vivre, et de se sentir vivant.

© Bérangère Bienfait

Le texte joue de cette banalité : une femme dans l’encadrement d’une fenêtre, c’est banal, trop banal, il ne peut rien y avoir là que de “très mauvais” ! Heureusement, le propos se ment à lui-même et Planète touche irrésistiblement à l’intime. Cet homme et cette femme possèdent ce caractère immédiatement sensible des choses déjà vécues, des désirs esquissés confusément.

D’un regard désabusé, par petites touches mélancoliques, par évocations, dans une langue simple capable d’installer en quelques phrases des images et des sensations, Evgueni Grichkovets expose un certain vide existentiel et affectif de notre temps. David Clavel, la personne qui interprète l’homme, à moins que ce ne soit l’inverse, esquisse avec justesse quelques phrases, quand au détour d’une plaisanterie surgit l’émotion d’une situation ressentie. Subtilement sourd un indéfinissable chagrin, insatiable besoin de consolation, dont notre temps semble imprégné.

Là réside le meilleur de ce travail : la puissance évocatrice de quelques situations familières résonne sourdement en nous. La scénographie léchée, subtile de lumières et de couleurs, ouatée d’une ambiance sonore discrètement travaillée, présente un caractère éminemment pictural. Comme dans les tableaux de Hopper, auxquels fait référence Clavel, il se dégage une atmosphère intime et étrange, singulièrement touchante. Il y a quelque chose d’un film de Sofia Coppola aussi, d’un Lost in Translation par exemple, dans cette élégance désabusée, ce réalisme un peu vaporeux.

© Bérangère Bienfait

Les Possédés est un collectif. Jeune – un collectif n’est-il pas invariablement jeune ?… – il propose des formes en rupture avec le théâtre “traditionnel”. Dans Planète, l’atmosphère va de pair avec un certain refus du Théâtre, du Jeu et de l’Interprétation. Le décor est posé sur une scène nue, l’homme s’adresse au public qu’il tutoie. Le tu devient moi et la frontière s’atténue entre les comédiens et les spectateurs, sans que ceux-ci ne soient pour autant pris à parti. Simplement, des personnes en interpellent d’autres. Cette attitude est vivifiante à bien des égards.

Cependant, un doute persiste. Bien que la proposition soit de grande qualité, quelque chose ne manque-t-il pas ? Cette esthétique se donnant comme horizon l’évidence banale du vécu, et partant, l’émotion née du questionnement quotidien d’une société en quête de sens, s’illustre abondamment dans le cinéma, la littérature, la musique etc… contemporains. Et à chaque fois, sous couvert de refléter l’errance d’un monde désenchanté et désorienté, par cette volonté de faire de l’universel avec du quotidien, du sensible avec du banal, on se demande si le creux est celui de notre époque ou du propos. Dans les deux cas, le constat serait bien triste…

L’ensemble de la pièce est sur un fil, entre clichés moqués et poncifs mal assumés, comme cette démarche théâtrale dans son entier. À refuser le jeu et la fiction dramatique, le sens d’un tel travail se dilue un peu. Finalement, à quoi bon faire théâtre du banal ? La sensation est la même qu’à écouter parfois certaines productions de la “nouvelle chanson française”. Là, on ne propose pas de sens, on ne sublime pas vraiment, on n’explore pas franchement… Le texte lui-même peine un peu à conclure, se rattrapant in fine à une branche que l’on soupçonne pratique, parce qu’évidente.

On partage certes une émotion sincère. Et un beau moment : en même temps que Planète se joue à la Bastille une autre pièce des Possédés, Loin d’eux. Voilà qui donne envie.

Planète
De : Evgueni Grichkovets
Par : le collectif Les Possédés
Création dirigée par : David Clavel
Mise en scène : David Clavel et Nadir Legrand
Avec : David Clavel et Marie-Hélène Roig

Du 6 juin au 1er juillet 2011

Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette, Paris 11e
www.theatre-bastille.com

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