À l'affiche, Critiques // « Pichet Klunchun and myself », de et par Jérôme Bel et Pichet Klunchun, au Théâtre de la Commune

« Pichet Klunchun and myself », de et par Jérôme Bel et Pichet Klunchun, au Théâtre de la Commune

Avr 03, 2015 | Commentaires fermés sur « Pichet Klunchun and myself », de et par Jérôme Bel et Pichet Klunchun, au Théâtre de la Commune

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

pkm_7_web © DR

Jérôme Bel a toujours refusé que les danseurs de ses pièces chorégraphiques soient de simples objets. Plus que la danse elle-même c’est le rapport que le danseur établit avec son art, de la sujétion consentie à son émancipation, qu’il interroge. C’est à la fois mettre à nu le processus chorégraphique et affirmer le danseur au centre de ce processus. La rencontre avec Pichet Klunchun est sans doute, après « Véronique Doisneau »  et « Cyril Andrieux », la plus aboutie. Parce que Jérôme Bel est déstabilisé par une culture et une danse dont il ne maîtrise pas les codes. Pichet Klunchun, danseur thaï, aussi. Tous deux également chorégraphes ils sont donc en quelque sorte au même niveau. À la fois dans la maîtrise de leur art – toute « relative » pour Jérôme Bel qui avoue non sans ironie n’être pas très performant – et dans la perte de repère devant une culture étrangère dont ils ignorent tout des codes inhérents. Le sujet au fond n’est pas plus Pichet Klunchun que Jérôme Bel. C’est partir à la découverte d’un ailleurs, un exercice sur l’ailleurs plus précisément, comme le préconisait Antoine Vitez. Où la chorégraphie devient recherche, où chacun, curieux de la danse de l’autre, s’oblige à repenser la sienne. La première partie où Pichet Klunchun est interrogé par Jérôme Bel ouvre à ce dernier des abîmes de réflexion qui l’obligent à se positionner, s’expliquer, danser à son tour quelques extraits de ses chorégraphies, aiguillonné aussi par les questions simples et désarmantes de Pichet Klunchun. C’est à la fois leur rapport à la danse mais aussi ce que la danse opère dans le champ artistique, ses enjeux et ses problématiques dans leurs contextes culturels et politiques, qui sont posés. Entre l’engagement de Jérôme Bel pour une danse « textuelle » dont il fait éclater de l’intérieur les codes usuels, avec l’implication volontaire du public dans le processus, et la restauration de la danse traditionnelle Khon et de sa modernisation de Pichet Klunchun, loin de tout exotisme pour touristes, c’est aussi l’engagement de l’artiste à travers son art, par son art, pour son art. Pichet Klunchun and myself  c’est la danse démontrée par elle-même. Même si il y a en présence deux pratiques différentes, deux cultures à l’opposé l’une de l’autre, il n’y a rien qui diffère dans l’engagement, dans le processus qui amène le danseur sur le plateau et sa pratique. Et la danse s’avère être toujours plus que de la danse. C’est ce qui est magistralement révélé ici.

Jérôme Bel est très drôle dans le rôle du faux candide – cette création a plus de dix ans quand même – et Pichet Klunchun, très pince-sans-rire et non sans causticité, se révèle un redoutable interlocuteur. Ce qui aurait pu être une discussion très technique, entre soi, devient un dialogue merveilleux d’intelligence et d’humour. Le danseur enfin sujet de lui-même. La « maladresse » de Jérôme Bel et la haute maîtrise de Pichet Klunchun n’empêchent guère au détour de quelques démonstrations chorégraphiques d’entendre la fragilité de leur parcours. Entre le risque d’incompréhension et du scandale devant les pièces de Jérôme Bel (The Show must go on pour mémoire) ou le désintérêt aujourd’hui du public thaïlandais pour le Khon jugé obscur et incompréhensible et galvaudé pour des touristes en mal d’exotisme.

Pichet Klunchun and myself
Concept Jérôme Bel
De et par Jérôme Bel et Pichet Klunchun
Assistant Maxime Kurvers
Traductrices Clotilde Moynot et Denise Lucioni
Régie Lumière David Pasquier
Régie Plateau David Gondal
Régie Son Géraldine Dudouet
Régie générale Alexis Jimenez

Du 1er au 5 avril 2015
Mercredi 19h30, jeudi 20h30, samedi 18h, dimanche 16h

Théâtre de la Commune / Centre Dramatique National
2, rue Edouard Poisson – 93300 Aubervilliers
Reservations 01 48 33 16 16
www.lacommune-aubervilliers.fr

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