À l'affiche, Critiques // Phèdre(s), de Wajdi Mouawad/Sarah Kane/J.M Coetzee, mise en scène de Krzysztof Warlikowski, Odéon Théâtre de l’Europe

Phèdre(s), de Wajdi Mouawad/Sarah Kane/J.M Coetzee, mise en scène de Krzysztof Warlikowski, Odéon Théâtre de l’Europe

Mar 19, 2016 | Commentaires fermés sur Phèdre(s), de Wajdi Mouawad/Sarah Kane/J.M Coetzee, mise en scène de Krzysztof Warlikowski, Odéon Théâtre de l’Europe

ƒ article de Denis Sanglard

4886141_7_34c7_phedre-s-de-wajdi-mouawad-sarah-kane-et-j-m_18e3561f254665217e36b712e76d302b

© DR

Phèdre(s). Toutes les Phèdre, d’Euripide, Sénèque, Racine à Sarah Kane, Réunies par Wajdi Mouawad. Une héroïne tragique qui s’offre en premier à nous sous les traits d’Aphrodite bientôt réincarnée sous les traits de la fille de Minos et Pasiphaé. Un amour désespéré et tragique pour le fils de Thésée, Hippolyte, qui nait sur les cendres et les fosses communes d’un génocide.  Car ça parle aussi de ça aussi, de la guerre, celle du Liban, la Phénicie de Phèdre, sans doute mais de toutes les guerres surement. Debout et bientôt chancelante sous le poids de l’aveu irrépressible et honteux, que le souvenir et la honte des massacres perpétrés n’obèrent pas, Phèdre hurle son désir et sa jouissance, inconnus des dieux qui pourtant la possèdent. Aphrodite justement qui se venge ainsi d’Hippolyte. Une Aphrodite star de porno, hardeuse, qui fait de Phèdre l’instrument d’une vengeance implacable où le sexe tue. Et puisqu’il faut se dépouiller du mythe, c’est Sarah Kane qui achève la transgression. Hippolyte le pur n’est plus, c’est un être désespéré, solitaire dans un monde sans dieux, hors d’atteinte, qui s’offre à tous sans rien donner en échange qu’une blennorragie. Phèdre soumise à son désir, avilie, meurt. La conclusion c’est Elizabeth Costello, Phèdre contemporaine, personnage du roman éponyme de J.M Coetzee, qui la donne. Ancrée dans son siècle, lucide, qui cite le destin, vrai, de l’actrice Frances Farmer, incarnée au cinéma par Jessica lange. Dépression nerveuse, lobotomisée, violée, « le cul à vif ». Ce serait ça la réalité aujourd’hui. Entre le sublime et l’horreur. Image du désir absolu au destin souillé. Wadji Mouawad décline les visages de Phèdre : beauté, cruauté, innocence, pureté, réalité. Autant de chapitres pour un seul et même personnage tragique et paradoxal, mythe archaïque, dont Wadji Mouawad puisant dans la littérature ne retient que la douleur infinie, les contradictions d’une passion vouée au silence, la culpabilité de l’aveu et la révolte des corps insoumis. Il dénoue ce qui conduit au nœud coulant qu’Aphrodite tend à Phèdre. L’absolue de la jouissance et sa révélation n’ont pas d’autre issue.

Krzysztof Warlikowski signe une mise en scène somptueuse et implacable. Superbe même mais glaciale. Dans ce vaste décor carrelé et désolé qui tient autant de la morgue que d’une salle de douche – comment ne pas penser à la shoah – où les miroirs sans tain rendent l’objet du désir présent mais inaccessible, il fait terriblement froid. La passion semble disséquée minutieusement,  Phèdre un cas clinique. Et le jeu d’Isabelle Huppert, Phèdre(s), distancié pour ne pas dire appliqué, fabriqué, éloigne le personnage de toute empathie. Cette passion-là est dévitalisée. Certes on se masturbe, on baise, on fellationne, on jouit enfin, mais la chair est triste, hélas. Ca bande mou, et ça peine à venir. Ça ne s’abandonne jamais vraiment. On ne ressent rien de cette passion dévorante, des déchirements, des errements du personnage. Parfois même cela frise l’esthétique du porno chic, à la démonstration sans conviction, à la simulation. Dans ce vaste décor cela résonne tristement creux. Phèdre(s) est ici un objet théâtral sans aspérité, chic mais un peu toc.

Phèdre(s) de Wajdi Mouawad / Sarah Kane /J.M Coetzee
Mise en scène, Krzysztof Warlikowski
Dramaturgie, Piotr Gruszczynski
Décors et costumes, Malgorzata Szczesniak
Lumière ; Felice Ross
Musique originale, Pawel Mykietyn
Vidéo, Denis Guéguin
Chorégraphie, Claude Bardouil, Rosalba Torres Guerrero
Compositeurs de la musique jouée sur scène, Bruno Helstroffer
Avec  Isabelle Huppert, Agata Buzek, Andrzej Chyra, Alex Descas, Gaël Kamlindi, Norah Krief, Rosalba Torres Guerrero, Grégoire Léauté & Bruno Helstroffer (en alternace)

Odéon-Théâtre de l’Europe
Place de l’odéon
75006 Paris
Du 17 mars au 13 mai 2016 à 20h00 le dimanche à 15h
Réservations : 01 44 85 40 40
theatre-odeon.eu

Be Sociable, Share!

comment closed