Critiques // Critique • « Ossyane » d’après Amin Maalouf, mise en scène de Grégoire Cuvier au Théâtre 13

Critique • « Ossyane » d’après Amin Maalouf, mise en scène de Grégoire Cuvier au Théâtre 13

Sep 12, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « Ossyane » d’après Amin Maalouf, mise en scène de Grégoire Cuvier au Théâtre 13

Critique de Hugue Bernard

Ossyane Ketabdar est libanais. Son père est né de l’union d’un Turc et d’une Arménienne au commencement d’un siècle qui sera celui de toutes les déchirures… Quand s’écroule l’empire ottoman, le Proche-Orient éclate violemment, au moment où l’Europe se disloque dans la haine.
Cette union originelle, au rebours de l’histoire, scelle le destin des Ketabdar : vivants amoureux, ils devront fuir, être séparés et souffrir, à l’image du monde qui se brise autour deux.

© Christophe Henry

Ossyane est tiré du livre d’Amin Maalouf Les Echelles du Levant. Ces échelles, ce sont les multiples villes qui jalonnaient la route des marchands, particulièrement français, de l’Europe à l’Orient, de Constantinople au Caire. Quand les liens unissant les barreaux se rompent au cours du siècle passé, c’est toute une région, soudée jusque-là, qui s’effondre. Tout comme Ossyane.
Il se souvient de son passé cosmopolite, marqué par la violence, la honte des fautes, la fierté d’être ce que l’on est dans un monde qui change. Ossyane, dont le prénom en arabe signifie « insoumission » deviendra un héros de la résistance en France et tombera amoureux d’une jeune juive dont il aura un enfant. Paradoxe de son temps et reflet d’un monde en convulsive décomposition, lui, le jeune arabe aux origines improbables, héros post-conflit d’une France troquant sans vergogne un général contre un maréchal, amoureux d’une juive dans le Proche-Orient d’après 1948…
Identités paradoxales qui s’entre-déchirent et ne peuvent cohabiter, ni en cet homme ni dans ce monde. Ossyane est fou. Son esprit a éclaté en même temps que son quotidien. Il se souvient, on le suit, mais son esprit a perdu le fil. Les échelles se sont brisées.

Le projet de Grégoire Cuvier est ainsi de peindre dans le même élan la folie d’un monde à l’agonie et celle d’une raison brillante qui s’enfuit, de montrer un esprit brillant collapsant dans un univers se déchirant lui-même.

© Christophe Henry

Le projet est ambitieux, le sujet passionnant ! Le résultat est plus contrasté. En adaptant un roman évoquant plus de cinquante ans d’une histoire européenne et orientale, il semble que l’on ait procédé à des coupes systématiques, transformant ce qui aurait pu être une fresque puissante en une succession effrénée de séquences au rythme presque haché. Ce que renforce une mise en scène par ailleurs pleine de qualités, au rythme nerveux et vif comme un ballet, pleine de surprises et de malice : la milice arrive brusquement et emporte… les tables pour le changement de décor, le vieux père devient, en une seconde et une perruque de moins, le frère odieux et brutal etc. Cette mécanique prend place dans une scénographie assez sobre, efficace, les changements se faisant à vue derrière des panneaux formant des écrans, supports de projections photos et paravent au bouillonnement des va-et-vient.
Pourtant, tout cela souffre d’un manque d’épaisseur, d’intensité. L’ensemble reste assez convenu et presque survolé, hésitant entre réalisme, évocation… On reste légèrement étranger à ce tourbillon historique, parfois évoqué de façon franchement didactique par les photos projetées, autant qu’à l’histoire d’un homme dont on peine à se sentir proche. La belle langue d’Amin Maalouf, elle-même n’est pas vraiment audible, trop coupée, trop diluée dans l’urgence de raconter beaucoup en peu de temps, comme si, en voulant être absolument narratif, on avait produit un story-board.
Malgré tout, dans une distribution par ailleurs très inégale, Olivier Cherki (Ossyane) fait preuve d’une belle présence physique, juste, d’une grande intensité corporelle. L’ensemble est une belle aventure, dont on ne sort pas indifférent. Fondamentalement, malgré le caractère éminemment dramatique de l’histoire d’Ossyane, il y a une lueur d’espoir et de belles promesses. Ce qui n’est déjà pas si mal.

Ossyane
D’après : Amin Maalouf, « Les Echelles du Levant » (Éd. Grasset, 1996)
Adaptation et mise en scène : Grégoire Cuvier
Avec : Christine Braconnier, Jean‐Marc Charrier, Christophe Chene‐Cailleteau, Olivier Cherki, Audrey Louis, Yvon Martin, Stéphane Temkine
Assistante à la mise en scène : Jehanne Flavenot
Scénographie : Grégoire Faucheux assisté de Caroline Forveille
Création lumière : Nicolas Roger
Musiques : Chostakovitch, Schubert, Schönberg, Satie
Costumes : Camille Pénager
Maquillage et coiffure : Catherine Saint-Sever
Régie générale : Philippe André
Production : Compagnie Théâtre de Chair

Du 6 septembre au 16 octobre 2011
Mardis, jeudis et samedis à 19h30, mercredis et vendredis à 20h30, dimanche à 15h30

Théâtre 13
103A boulevard Auguste Blanqui, Paris 13e – Réservations 01 45 88 62 22
www.theatre13.com

www.theatredechair.com

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