Critiques // « Oncle Vania » de Tchekhov mis en scène par Serge Lipszyc à l’Athénée

« Oncle Vania » de Tchekhov mis en scène par Serge Lipszyc à l’Athénée

Oct 14, 2010 | Aucun commentaire sur « Oncle Vania » de Tchekhov mis en scène par Serge Lipszyc à l’Athénée

Critique de Dashiell Donello

Cet Oncle Vania nous laisse dans l’expectative malgré le quintette exceptionnel que forme Robin Renucci, René Loyon, Serge Lipszyc, Michèle Gaulupeau et Laurent Huon.

« Une vie consciente, sans une conception du monde bien définie, n’est pas une vie, mais un fardeau, une horreur… » Ecrivait Tchékhov (1860-1904) à Souvorine le 28 novembre 1888.

Cette horreur prend-elle sa source dans la propriété de campagne de Sérébriakov ? Toute la maisonnée discerne-t-elle sa propre vérité ? Se voit-elle vivre réellement dans le présent ? Ou bien ne vit-elle que dans une hypothétique espérance future ? Isolés dans la réalité des scènes de la vie de campagne, les protagonistes semblent perdus dans un quotidien oisif et ennuyeux, livrés à eux-mêmes, sous le joug du regard d’autrui. La vacuité se verse, chaque jour, dans un récipient débordant de l’ambiguïté de ce qu’ils sont vraiment. Ils doutent. Alors, pour donner un sens à cette vie trop humaine, ils se réfugient dans l’illusion de l’amour. Astrov n’aime personne, à part la nounou, la nature et la belle Eléna, peut-être… Dieu seul sait quelle est notre véritable vocation ? dit-il.  Vania, être de lumière qui n’éclaire personne, aime Éléna plus sûrement, mais ses chances sont égales à zéro. Il faudrait d’abord qu’il se réconcilie avec lui-même. Sonia qui se trouve laide, aime secrètement Astrov, mais celui-ci l’ignore royalement. Éléna est tombée amoureuse d’un amour artificiel qu’elle croyait vrai. Sérébriakov aime le succès, la célébrité, le bruit, et ne s’intéresse qu’à sa goutte et aux livres.

© Jean-Louis Martineau

L’acte III révèle l’acte manqué de Voïnitzki et la haine de l’autorité et de l’injustice que Tchékhov a toujours revendiqué dans ses pièces.  Ce coup de feu raté sur la personne de Herr Professeur exprime tout à la fois l’admiration et le ressentiment qu’éprouve Voïnitzki pour un vieillard injuste et ingrat.

(…) Tout ce que les vieillards ne peuvent plus faire est interdit ou est considéré comme répréhensible. Je n’entends les vieillards prononcer que des paroles absurdes ou hypocrites. Les vieillards sont gloutons. Les vieillards sont présomptueux et haineux. Combien j’ai connu de vieillards méprisables ! A.T

Nous nous reposerons

On ne doit pas être trompé par les intentions optimistes de Sonia à l’Acte IV qui ne disent pas le sens réel de ses paroles. Elle se soulage plutôt du poids d’un fardeau devenu bien trop lourd à porter. Son expression « Nous nous reposerons » résonne comme un « Nous mourrons apaisés de tous soucis ». D’ailleurs sa vision des anges n’atteste-t-elle pas sa croyance en un au-delà ? Tout en affirmant son incroyance, Tchékhov avouait son respect profond pour « la foi, cette aptitude de l’âme qui n’est accessible qu’aux organismes supérieurs ».

© Jean-Louis Martineau

Oncle Vania, c’est un lieu commun de le dire, est une grande pièce. Son action s’impose quelque soit les tentatives heureuses ou malheureuses d’un metteur en scène.

« A quoi bon expliquer quoi que ce soit au public ? Il faut l’effrayer et c’est tout ; il sera alors intéressé et se mettra à réfléchir une fois de plus. » A.T

Si le texte nous parvient parfaitement, c’est parce que Tchékhov y avait mis tout ce qu’il savait de ses personnages. Il disait que la médecine était sa femme légitime, et la littérature sa maîtresse. Le médecin rencontrait ses personnages sur des chemins de campagne, et l’écrivain transcendait  leur vie dans la fiction. « La subjectivité est une chose terrible… Il ne faut se mettre à écrire que lorsqu’on se sent froid comme de la glace », conseillait-il.

Peut-être que pour mettre en scène Tchékhov, il faudrait aussi se sentir froid comme de la glace ? Probablement que la véracité et le naturel de la pièce, dans un espace vide avec des meubles et une ingénieuse lumière (Jean-Louis Martineau), seraient présents de bout en bout ? Est-ce qu’une mise en scène ne rend pas plus stérile une œuvre, à trop chercher sa perfection ? Car on se demande bien pourquoi on passe d’une scène inégale à une scène pleine de spontanéité et d’humour ? On se pose aussi la question de pourquoi va-t-on de l’enthousiasme d’une émotion sincère à l’ennui d’une action sans énergie ? Doit-on imputer cette baisse de régime à un soir de première ?

Oncle Vania
De : Anton Tchékhov
Mise en scène : Serge Lipszyc
Avec : Robin Renucci, Estelle Clement-Béalem, Michèle Gaulupeau, Danièle Gauthier, Laurent Huon, Sylvain Méallet, Serge Lipszyc, René Loyon, Judith d’Aleazzo
Assistant à la mise en scène : Sylvain Méallet
Scénographie : Sandrine Lamblin
Lumières : Jean-Louis Martineau
Costumes : Jean-Bernard Scotto
Traduction : André Markovicz, Françoise Morvan

Du 13 au 30 octobre 2010

Athénée Théâtre Louis-Jouvet
Square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau, 75 009 Paris
www.athenee-theatre.com

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