Critiques // « Ode Maritime » de Fernando Pessoa, mise en scène Claude Régy au Théâtre de la Ville

« Ode Maritime » de Fernando Pessoa, mise en scène Claude Régy au Théâtre de la Ville

Mar 10, 2010 | Aucun commentaire sur « Ode Maritime » de Fernando Pessoa, mise en scène Claude Régy au Théâtre de la Ville

Critique de Denis Sanglard

Face à l’immensité immense de la mer immense

Un homme sur un ponton amarré au néant. Jean-Quentin Châtelain face à nous, image d’une effrayante solitude, profère une heure cinquante durant un texte vertigineux, Ode Maritime de Fernando Pessoa. Claude Régy, fidèle à lui-même, nous offre une œuvre d’une rigueur implacable qui nous demande un effort lequel nous arrache et nous porte comme nous emporte Jean-Quentin Châtelain tel une vague, la même qui le surplombe. Une vague qui se teinte de rouge, de vert, de bleu, irradiant la scène et l’acteur immobile devenu vigie. Des couchers de soleil éclaboussés du sang des pirates évoqués, des verts qui putréfient celui qui profère devenu cadavre, des bleus autant que de mers et d’océans traversés et la pénombre enfin rassurante comme la mort ou la nuit. Contrepoint d’une voix qui s’élève.

© DR

Entendre

La voix de Jean Quentin Châtelain peut paraître insupportable, traînante, fausse avec cet accent qui lui est si caractéristique mais nous sommes dans la profération, l’articulation nette et précise. Il faut accepter ça. Il faut tout accepter. Elle se fait murmure, cri, râle. Elle épouse toujours le mouvement de cette ode qui de contemplation méditative devient ivresse et fureur de pirate, cris de bourreaux et de victimes, de femmes égorgées avant de revenir à l’enfance. Ce travail vocal, si particulier chez Claude Régy, est porté ici à son incandescence. Cette façon de donner à entendre une autre perception du monde en dehors des seuils qui nous sont familiers. Sans jamais oublier que la voix est aussi silence, ce silence sans lequel toutes paroles ne seraient que bruit. Quand Jean-Quentin Châtelain se tait, c’est un autre espace qu’il entrouvre ou soudainement le sens est dégagé, déployé, explosé. C’est un paradoxe résolu que dans cette profération hallucinatoire nous entendions un silence aussi assourdissant et signifiant. « Il s’agit de travailler pour que le texte fasse voir » dit Claude Régy (Dans L’état d’incertitude édition Les Solitaires Intempestifs). C’est tenter d’atteindre l’inconscient même de l’écrivain, travailler sur cette zone où la poésie fait sens en échappant à l’auteur au moment de la rédaction. Ainsi dans Ode Maritime chaque mot, chaque phrase, chaque souffle semble surgir du plus profond de Jean-Quentin Châtelain. Arrachés. Il ne peut y avoir alors aucun naturalisme. Claude Régy a pressenti que la voix d’un auteur n’est jamais celle justement du naturalisme car elle est d’un autre ordre. L’ordre du sacré qui rejoint celui du théâtre où le spectateur est aussi acteur. Ce qui lui demande de faire un effort et d’accepter d’être embarqué, charrié pour atteindre autre chose dans ce rituel commun.

Rives inconnues

Dans Ode Maritime ne voyons surtout pas quelque chose de crépusculaire ou de testamentaire mais une étape de plus dans une recherche singulière et l’une des plus importantes des ces cinquante dernières années. Et en dehors de ces considérations techniques il demeure, avec Ode Maritime de Pessoa, une création à nouveau forte portée par un acteur immense. Ne parlons pas de performance, ce serait grossier ici, nous sommes au-delà, dans quelque chose où l’acteur, en s’effaçant, atteint des rives inconnues de lui. C’est la voix de Pessoa et de son double, Alvaro De Campo, qui s’élève mais c’est aussi par Claude Régy le théâtre dans sa fonction première qui se révèle.

Ode Maritime
De : Fernando Pessoa
Mise en scène : Claude Régy
Avec : Jean Quentin Châtelain
Scénographie, costume : Sallahdyn Khatyr
Lumière : Rémi Godfroy, Sallahdyn Khatyr, Claude Régy
Assistant à la mise en scène : Alexandre Barry
Dramaturgie : Sébastien Derrey
Fabrication du costume : Julienne Paul
Texte français : Dominique Touati, revu pour le spectacle par Parcidio Gonçalves et Claude Régy

Du 8 au 20 mars 2010

Théâtre de la Ville
2 place du Châtelet, 75004 Paris
www.theatredelaville-paris.com

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