Critiques // « Nuit Gravement au Salut » de Henri-Frédéric Blanc aux Déchargeurs

« Nuit Gravement au Salut » de Henri-Frédéric Blanc aux Déchargeurs

Jan 06, 2010 | Aucun commentaire sur « Nuit Gravement au Salut » de Henri-Frédéric Blanc aux Déchargeurs

Critique d’Hervé Mestron

L’irrésistible pouvoir de séduction

Un homme a envie d’une femme. Il ne sait pas comment lui dire, sinon avec des gros sabots, son haleine persillée et sa cravate en soie.

Parce qu’il est question d’escargots dans cette pièce. D’escargots de Bourgogne, de vins millésimés, de chair. De chair humaine et d’un peu de littérature. Il est question de petite culotte aussi. De string retiré au dessert.

C’est un dîner feutré dans un grand restaurant. Léa Belmont est romancière. Victor Pontier est éditeur. Tous deux s’affrontent autour d’un contrat d’édition à signer. Elle a besoin de cet argent pour faire opérer son fils gravement malade. Pontier est tout à fait prêt à publier ce nouveau livre. Mais ce qu’il aimerait surtout, il le formule sans détours, avec la subtilité d’un militaire de garnison, c’est le corps de son auteur. Pas le corps de son âme, mais celui de sa chair. Elle le rembarre et il insiste presque graveleux, poussant la logique du donnant donnant et de la domination animale. On le sent fils de grande famille qui, plutôt que d’avoir suivi ses frères du côté des affaires sérieuses, a préféré se tailler une côte de pouvoir dans le monde des artistes. Plus la romancière le repousse, plus on le sent près de l’orgasme. Il cherche le fouet qu’un jour, peut-être, elle consentira à lui donner…

Pontier est tout à fait logique dans son rôle, jusqu’à la dernière goutte. Mais ce qu’il ne sait pas, c’est qu’il est pris au piège déjà. Il est très loin de s’en douter, mais il a la corde au cou. Léa Belmont, archétype de l’écrivaine mystique et terre-à-terre, tisse sa toile d’araignée, lentement, avec des airs d’oie blanche effarouchée.

Bien plus qu’un simple dîner

Cela pourrait être la simple critique amusante du monde de l’édition et de tous les mondes en général, mais ici, le bouchon dérive un peu plus loin…

Oui, bien sûr, c’est une pièce sur l’abus de pouvoir, le harcèlement sexuel, la grande et la petite littérature, l’art de ne pas manger de fromage après les escargots, mais c’est surtout une pièce drôle. Et quand l’humour parvient à cuire, mauvaise fois, perversité et « beaufitude », des saveurs exquises se dégagent du texte. Une écriture maîtrisée de facture pétillante. Un couple d’acteurs réussissant un duel d’une perversité folle. Tous les deux, à leur manière, se déshabillent, jusqu’à l’effeuillage final, mais chut…

Enfin, tournant autour d’eux comme un vautour en tutu, le serveur, grandiose, royalement déjanté, fait définitivement basculer la pièce dans un univers où le grotesque nous ramène impitoyablement au réel. Après tout, l’auteur a déjà écrit beaucoup de romans. Il a sûrement dû, un jour, dîner avec son éditeur…

Nuit Gravement au Salut
De : Henri-Frédéric Blanc
Mise en scène : Ludovic Laroche, assisté de Karine Poitevin
Avec : Pierre-Michel Dudan, Ludovic Laroche, Karine Poitevin

Du 5 janvier au 13 Mars 2010

Théâtre Les Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs, 75 001 Paris
www.lesdechargeurs.fr

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