Critique de Denis Sanglard –
Quatuor
Nono est la maîtresse d’un riche oisif dont le meilleur ami, écrivaillon médiocre, tombe amoureux. Lui-même est l’objet du harcèlement de sa riche et vieille maîtresse dont il n’a de cesse de vouloir rompre. Nono en l’absence provisoire du premier cède au second.
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Un tout jeune Guitry de 19 ans qui écrit en 1905 Nono. Jeune, mais déjà le style est là. Un humour vache, brillant, où les répliques fusent et rebondissent, audacieuses et diablement poétiques. Une écriture précise et pointue au service d’une amoralité joyeuse, politesse du désespoir. C’est une œuvre noire et désespérée où le rire masque (si peu) le tragique. Et pourtant aux tenants du Guitry misogyne et superficiel de la comédie bourgeoise, Nono apporte un démenti cinglant. Il n’est question que de la circulation des corps et de l’argent. Du désir, de l’amour, du mépris, de la solitude, de la vieillesse. Sur les femmes, Guitry pouvait affirmer qu’il était « tout contre ». Oui parce dans Nono elles ont la part belle. Nono est une énigme mais après Nana, avant Lulu, elle incarne plus que la petite putain respectueuse, la femme libre. Candide, naïve et rouée à la fois, mais qui a conscience des enjeux dont elle est l’objet. Objet du désir, sa liberté est de monnayer. Qu’ils paient ces messieurs désœuvrés! Sans cynisme et sans calcul par simple instinct de survie puisque dans ces années d’avant guerre, le corps des femmes, comme l’argent, est enjeu de spéculation.
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Partition musicale
Nono c’est la pétillante Julie Depardieu, ravissant tanagra de prime abord, bien plus complexe qu’elle n’y parait. D’un naturel confondant, « une nature », belle à croquer et qui se laisse croquer joliment. Face à elle, Michel Fau évident, forcément évident de virtuosité qui jamais ne tombe dans le piège de singer le Maître Sacha Guitry. Et leur duo est incroyable de justesse et de complicité. Ces deux là jouent avec un tel bonheur cette partition qu’elle semble faite pour eux et s’écrire sous nos yeux, virtuoses d’une langue ô combien délicate et difficile sous l’apparente légèreté. Les autres acteurs sont au diapason de cette partition. Brigitte Catillon, dans le rôle de la vieille maîtresse humiliée, est parfaite de dignité blessée, drôle sans être ridicule, jusqu’au désenchantement final où le mensonge masquera la douleur.
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Chromo
C’est par ailleurs la langue de Guitry que Michel Fau privilégie dans sa mise en scène à l’artifice assumée. Dans un décor de carton pâte, tout en trompe l’œil sépia, où les acteurs sont face public, il affirme la théâtralité de l’écriture de Guitry dans ce qu’elle a de poétique et musicale. La verve de Guitry dans cet écrin, ce chromo désuet comme une photo de « l’Illustration Théâtrale », se déploie avec toute son impertinence, son intelligence. Les bons mots, les répliques assassines, les réparties cinglantes s’enchaînent comme des portes qui claqueraient chez Feydeau. Feydeau auquel on pense quand la mise en scène se fait volontairement burlesque, quand les corps dérapent soudainement en soubresauts incongrus. On pourrait croire à une reconstitution d’époque mais encore une fois tout n’est qu’illusion. Il y a mise en abyme. Ce qui apparaît par cet artifice justement c’est la toujours modernité de Guitry que Michel Fau avec beaucoup d’intelligence et de bonheur réhabilite et dépoussière, loin des clichés.
Nono
De : Sacha Guitry
Mise en scène : Michel Fau
Avec : Julie Depardieu, Michel Fau, Xavier Gallais, Brigitte Catillon, Sissi Duparc, Roland Menou, Davy Vetter
Costumes : David Belugou
Décors : Bernard Fau assisté de Citronelle Dufay
Lumières : Joël Fabing
Maquillage : Pascale FauDu 7 septembre au 31 décembre 2010
Théâtre de la Madeleine
19 rue Surène, 75 008 Paris
www.theatremadeleine.com