À l'affiche, Critiques // Noce, de Jean-Luc Lagarce, Mise en scène de Pierre Notte, Théâtre du Lucernaire

Noce, de Jean-Luc Lagarce, Mise en scène de Pierre Notte, Théâtre du Lucernaire

Jan 28, 2017 | Commentaires fermés sur Noce, de Jean-Luc Lagarce, Mise en scène de Pierre Notte, Théâtre du Lucernaire

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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©DR

Être de la noce, être à la noce. Coûte que coûte, envers et contre tous, envers et contre tout. Ils sont cinq à forcer les portes de cette noce à laquelle ils n’ont pas accès ou du moins de très, très loin. Objet de toute leur ambition, de tous leurs fantasmes. Un refus de l’exclusion, une volonté farouche d’être eux aussi de la noce, absolument. Ces cinq paumés, ces cinq exclus vont se défier, s’allier, se rallier, ruser, combattre avec férocité, mener la guerre pour enfin s’assoir à la table des mariés. L’avoir enfin cette foutue part d’arc en ciel, chantée par Nicole Croisille, leitmotiv entêtant, très vite crispant, de ce mariage où chacun des cinq veut sa part du gâteau après avoir semé le chaos, fait de cette noce un champ de bataille sanglant. Mais « somewhere over the rainbow » ça coince sec. Nulle satisfaction, un goût amer, la sensation d’un vide, et la soumission au plus fort. Et à la porte de cette noce devenue par force la leur, la révolte qui gronde, parce que chacun à l’extérieur, c’est irréductible et fatal, à son tour veut aussi sa part d’arc en ciel et de gâteau. L’histoire est un éternel recommencement.

Etrange pièce de Jean-Luc Lagarce, pas la plus connue, c’est certain – elle date de 1982- mais comme Retour à la citadelle ou Les Prétendants interroge le pouvoir sous l’angle ici de la satire. C’est une farce où la causticité de Jean-Luc Lagarce, son ironie, son humour féroce, son sens de l’absurde, héritage assumé de Ionesco ou de Beckett, Kafka, s’affirment avec cette langue si singulière, cette musique reconnaissable entre toute qui par éclats surgit ici magistralement. Ce qui deviendra sa signature est déjà présent et vibre singulièrement, fortement. L’importance de son écriture se vérifie encore là. C’est elle qui domine l’action, qui lui donne son impact, son élan et sa force. Même dans la farce. En cela, c’est Tchekhovien en diable. Aborder Jean-Luc Lagarce et son écriture c’est déminer le quotidien en le faisant exploser, débusquer les non-dits et avant toute chose savoir dire, exprimer cette parole unique et jubilatoire. C’est ce que réussissent avec brio ce quintet en folie, totalement immergé dans cette pièce grinçante, la compagnie de la Porte au trèfle. Mais il faut dire qu’avec le facétieux Pierre Notte à la mise en scène, auteur lui-même, le respect de la langue, de l’écriture, va de soi, même si ce n’est pas la sienne. Ici il est à son affaire, ô combien. Car autant que le sujet c’est aussi cette langue qu’il met en scène avec bonheur et un respect non compassé. Qu’il restitue dans sa dynamique heurtée. Une mise en scène comme toujours avec lui inventive, énergique, mais dégraissée de tout effet inutile. Et ça va vite, très vite. Pas de temps mort. Une ligne claire, un trait sûr, qui court au long de cette heure trente, à peine, de folie totale et qu’il fait monter crescendo jusqu’à son acmé et son corolaire, l’épuisement. Celui des acteurs et le nôtre. Des acteurs déchaînés, bien campés dans leurs personnages allumés et désespérés, aussi unis que cette bande de braques, de paumés, d’exclus solidaires malgré eux contre l’injustice, en guerre contre le système qui les relègue dans l’ombre d’une noce, condamnés à voir passer les plats sans y avoir droit. Car tout ça résonne étrangement avec notre foutue actualité. Le rire est énorme, mais la casse est bien là, sous la farce. L’énergie folle qui embrase et sème le chaos sur le plateau n’est que l’expression de l’urgence et de leur désespoir. Le tragique n’est jamais bien loin qui conclue amèrement la pièce et que n’élude pas Pierre Notte. « Je l’aurai mon arc-en-ciel », jamais ritournelle devenue chant d’une révolte, n’aura sans doute fait autant grincer des dents…

Noce
De Jean-Luc Lagarce
Mise en scène Pierre Notte
Lumière Aron Olah
Assistante mise en scène Amandine Sroussi
Avec Grégory Barco, Bertrand Degrémond, Eve Herszfeld, Amandine Sroussi, Paola Valentin

Du 25 janvier au 11 mars 2017
Du mardi au samedi à 21h

Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champs – 75006 Paris
M° Notre-Dame-Des-Champs
Réservations 01 42 22 66 87
www.lucernaire.fr

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