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Critique • « Mystère Pessoa » de Fernando Pessoa, adaptation Stanislas Grassian au Lucernaire

Nov 08, 2011 | 2 commentaires sur Critique • « Mystère Pessoa » de Fernando Pessoa, adaptation Stanislas Grassian au Lucernaire

Critique de Djalila Dechache

Monsieur Pessoa le méconnu

Qui connaît bien Fernando Pessoa (1888-1935) en France ?
Le nom est connu mais la vie, le parcours, l’œuvre, la pensée ?
Mis à part Claude Régy qui s’est attelé à sa mystique « Ode maritime » en 2009 et pour lequel il obtiendra le Prix National de la Critique en 2010, peu de monde en vérité s’est réellement penché sur cet artiste poly-forme, prolixe, étonnant et déroutant.
D’autres se sont intéressés au « Livre de l’intranquillité » qui a été édité à titre posthume en 1982 et c’est tout !
Il a une pensée sur tout, réfléchit sans cesse, analyse en permanence son œuvre et porte une implacable lucidité sur les hommes.
« Mystère Pessoa, mort d’un hétéronyme » (ou Mister Pessoa ?), spectacle qui commence à l’heure, ce qui est trop rare pour ne pas le signaler, tente de nous sensibiliser au poète portugais investi dans une mission littéraire dont il s’est investi. Pessoa est un monstre de travail, rien ne lui résiste : écrivain critique trilingue grâce à une adolescence anglaise et une fascination pour Shakespeare, poésie, théâtre, traductions, journalisme, essais, création de revues, de maison d’édition… Pas moins de 27 543 textes sont découverts, enfouis, à sa mort.
En France son œuvre est consacrée et éditée à la Pléiade.Elle est traduite dans un bon nombre de langues européennes et même jusqu’en chinois.
« Ma patrie dit-il, c’est la langue portugaise », comme on le comprend! C’est étonnant comme les poètes, plus que d’autres, le reconnaissent souvent.
Initiateur de la période du modernisme dans son pays, il meurt en 1935 à l’âge de 47 ans d’une cirrhose, pauvre et méconnu.
Il laisse sur son lit d’hôpital comme une auto-épitaphe la phrase suivante : « I know not what tomorro will bring » (Je n’ai pas la connaissance de ce que demain apportera).
Autour de cinq personnages au total dont Fernando Pessoa lui-même ainsi que Alberto Caeiro, Ricardo Reis, Alvaro de Campos et Bernardo Soares tous très convaincants, le metteur en scène et comédien Stanislas Grassian, étonnant de vraisemblance et de justesse, nous plonge immédiatement dans le quotidien de l’homme « livré à ses pestilences » comme dirait Rimbaud.

Un homme atrocement seul

Comme le metteur en scène accorde beaucoup d’importance au travail du corps, les comédiens le traduisent par une approche corporelle appuyée, échappant ainsi l’ennui que pourrait laisser une narration plus statique. Le temps passe si vite, il se passe toujours quelque chose, le décor sobre et fonctionnel répond à merveille aux nécessités de la mise en scène.
Du coup, la tonalité est dynamique, pleine d’entrain, le pauvre Pessoa en voit de toutes les couleurs pourrait-on dire, il se débat sans cesse, au rythme de ses pensées, de ses invasions intérieures, de ses fantasques visions et de ses tourments.
Sur scène, un homme est là, tout de noir vêtu, en permanence, comme un corbeau, lunettes cerclés d’or, chapeau et nœud papillon, moustache régulière, un peu voûté, assis jambes serrées, il fume.
Il parle. Il raconte. Il dialogue avec lui-même et “ses” autres.
Il n’est ni gai ni franchement sinistre.Il est là : « Toute la philosophie de votre œuvre se ramène à l’épicurisme triste » lui dit l’un d’eux.
Avec sa voix monocorde, il énonce des vérités qui claquent.
On entend la musicalité de la langue portugaise. Et c’est bien, cela nous fait du bien, on se sent plus proche de lui et de son univers.
« Être poète n’est pas une ambition, c’est ma façon d’être seul »

Il y a plusieurs scènes qui fonctionnent très bien, celle du miroir où Pessoa se regarde et c’est un autre qu’il voit, illustré par l’un des comédiens, la scène du sommeil et du rêve est très justement traitée entre l’ensemble des comédiens qui défilent de cour à jardin comme dans une course cyclique.

A trop se fuir, on se cogne encore plus fort à sa propre réalité.

Quant à sa fiancée Ophélia, belle et patiente à souhait, seule histoire d’amour connue, il a beau lui dire : « Ophelia je vous aime, vous êtes du miel, un bonbon, une guêpe », et malgré une chorégraphie glamour, cela ne donnera rien, Pessoa ne s’engagera pas.
Pessoa malgré tout reste un homme seul, atrocement seul et ses 72 hétéronymes au total n’y changent rien.

« Nous avons tous deux vies
la vraie rêvée, enfant
la fausse, pratique et utile
dans le commerce des autres
où nous finissons dans un cercueil
Je me situe dans l’autre ».

La scène du final apporte une cacophonie de musique et de voix de l’ensemble des hétéronymes, dont Alberto Caiero qui reprend la même posture couché, replié sur lui-même comme au début, sur des paroles en langue portugaise.
Ce qui laisse comme impression étrange de nous demander si nous-mêmes du public, nous avons voyagé et rêvé avec lui.

Mystère Pessoa
Mort d’un hétéronyme

Texte
: Fernando Pessoa
Adaptation et mise en scène
: Stanislas Grassian / Collectif Hic et Nunc
Traduction
: Simone Biberfeld, Eunice Ferreira, Patrick Quillier et Teresa Rita Lopes
Avec
: Raphaël Almosni ou François Hatt, Jacques Courtès, Florin Dorin ou Samuel Brafman, Nitya Fierens et Stanislas Grassian
Musique
: Benjamin Segal et Vincent Lepoivre
Lumières
: Frédéric Coustillas et Nicolas Gros

Du 2 novembre 2011 au 21 janvier 2012
Du mardi au samedi 18h30

Théâtre du Lucernaire – Centre National d’Art et d’Essai
53 rue Notre Dame des Champs, Paris 6e
Métro Vavin – Réservations 01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr

www.stanislasgrassian.com

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