Critiques // « Mystère Bouffe et Fabulages (version 2) » de Dario Fo à la Comédie Française

« Mystère Bouffe et Fabulages (version 2) » de Dario Fo à la Comédie Française

Fév 16, 2010 | Aucun commentaire sur « Mystère Bouffe et Fabulages (version 2) » de Dario Fo à la Comédie Française

Critique de Bruno Deslot

Grand dramaturge et metteur en scène italien, Dario Fo fait son entrée au répertoire de la Comédie Française avec « Mystère Bouffe et fabulages ».

Mise en représentation du sacré

Les Mystères sont une représentation sacrée. Le Mystère Bouffe est un spectacle grotesque, et « non, un dîner surprise », comme se plait à l’expliquer Catherine Hiegel dans une remarquable adresse au public. Le Mystère Bouffe a été inventé par et pour le peuple, comme un moyen d’expression et d’agitation. Figure de proue de ce genre populaire, le jongleur rend la colère au peuple pour qu’il prenne conscience de sa condition. Il se fait porteur d’espoir et de vérité, comme le Seigneur. Transition aussi habile qu’heureuse pour les comédiens, qui enchaînent, dès lors, la mise en représentation du sacré.

Dans les cimetières, le miracle est un phénomène qui marche plutôt bien. Et c’est le cas dans celui-ci, d’une jauge d’à peu près 900 à 950 places, pour accueillir les curieux venus assister à la Résurrection de Lazare. Une pierre tombale, fraîchement cimentée, semble être celle de Lazare et la population, venue assister au spectacle, s’impatiente lorsque, oh miracle, Lazare apparaît et avec, les asticots ! Retour à la sagesse et à la méditation, lorsque les moines, en lévitation, s’élèvent vers l’au-delà dans une évanescence emprunte de sainteté. Saint Benoît de Nursie, rappelle ces échappés mystiques vers une réalité plus concrète, le travail de la terre, dont la règle bénédictine édicte les préceptes. Dans un lieu-dit, proche de Jérusalem, une taverne affiche complet, les disciples de Jésus sont attablés autour de celui qui vient de ressusciter. A Emmaüs, le miracle est aussi probable que l’image de ce joueur de carte, digne d’un tableau du Caravage, s’étonnant d’apprendre la présence du Christ. D’autres, au pied du Golgotha, sont affairés à des travaux bien plus contraignants, pour lesquels les clous sont nécessaires afin que le Christ puisse mourir sur la croix pour le salut des hommes. Une jeune femme se montre à la fenêtre de sa demeure, entraînant une âme sensible à partager son intimité dans le silence le plus complet. Ce n’est pas celui de la méditation mais un jeu de séduction inversé, dans lequel, rieuse, la femme soumet l’homme à ses désirs. L’histoire des cochons demandant des ailes au Créateur, afin de se rendre au Paradis pour en faire une porcherie, est resservie à la même sauce que le numéro du jongleur qui brûle dans les flammes de l’enfer, dans cette version 2 de Mystère Bouffe. Mais le témoignage, si drôles et touchants de ces trois femmes à propos de la Crucifixion et le monologue qu’interprète Catherine Hiegel à propos de l’amour d’une mère pour son fils, clôt le spectacle avec une habileté de jeu époustouflant.

Des fragments inédits mais un choix inégal !

Prix Nobel de littérature en 1997, Dario Fo, l’enfant terrible du théâtre italien, a offert à Muriel Mayette des fragments inédits de Mystère Bouffe, que la metteuse en scène a réparti entre les comédiens, en charge d’interpréter ces fables dans la pure tradition du conteur, ou plus exactement de celle du jongleur. Mais le choix de ces monologues met en perspective une proposition assez inégale, qui démarre de manière tonitruante pour se poursuivre laborieusement, dans la narration de fabliaux sans grand intérêt, desservant le jeu des comédiens. L’oeuvre de Dario Fo est un théâtre de l’adresse au public, une intention affirmée durant toute la représentation, mais qui pèche par une volonté de trop en dire. Quelques monologues, comme celui des soldats au pied du Golgotha ou celui de Saint Benoît, auraient pu être supprimés afin de présenter un ensemble dense et cohérent, fidèle à l’esprit du théâtre de Fo. Par ailleurs, la traduction des textes, restitue un univers assez lointain de la fable laïque, issue de la tradition orale, que Dario Fo porte au plateau avec tant d’intelligence. Ceci étant, l’exercice est périlleux et demande une parfaite maîtrise du théâtre adressé qui permet d’intégrer toutes les modulations du présent. De plus, la langue de Fo est difficilement traduisible lorsqu’il s’agit de retrouver cet humour, cette ambiance si singulière d’un théâtre né du plateau.

Des jongleurs tout en mouvement

La version 2 de Mystère Bouffe propose d’entendre d’autres fables pour lesquelles, seuls en scène, la plupart des comédiens s’offrent au public dans une improvisation aussi délirante que touchante. Chacun cherche, expérimente, s’amuse, s’essaye au jeu du jongleur dans une pantomime toujours plus singulière, ou une adresse au public qui invite à la complicité. Magistrale, Catherine Hiegel donne le ton à ce théâtre né du plateau, qui s’accomplit dans une parfaite maîtrise d’un jeu inhabituel. Elle est jongleuse, mère de douleur et comédienne dans son acception la plus noble. Christian Hecq, excelle dans des improvisations toujours plus osées, pour rendre la voix au peuple dont il se fait le porte-parole si habile. Qu’il interprète les curieux du cimetière où Lazare doit ressusciter, ou encore Marie, Jeanne et Madeleine s’interrogeant sur le devenir du Christ, bientôt cloué sur la Croix, chargé d’une puissance comique toujours plus surprenante, il est tout simplement excellent. Tout comme Stéphane Varupenne, peinant, dans la version 1, à conter l’histoire scatologique de ses cochons qui rêvent du Paradis, libère une force comique, dans la version 2, en offrant au public une improvisation surprenante, qui montre que le comédien s’approprie de mieux en mieux, le principe de ce théâtre de l’adresse. Alexandre Pavloff, malgré son monologue sans intérêt à propos de Saint Benoît, excelle dans l’art d’interpréter les personnages de ses fables, en donnant à l’univers qu’il propose, une couleur touchante de réalisme et d’authenticité. La taverne d’Emmaüs s’humanise, même lorsque la mort vient frapper à sa porte. Espiègle et rieuse, Véronique Vella s’amuse à chuchoter l’intrigue qu’elle échafaude pour faire de l’homme, qu’elle veut posséder, un sujet soumis.

L’ensemble de la version 2 de Mystère Bouffe, un peu trop long comme la version 1, s’essouffle rapidement, mais est porté à bout de bras par des comédiens de haute volée, qui font hommage au théâtre de Dario Fo, en inscrivant leur jeu dans une recherche constante de l’aventure scénique qu’ils proposent.

La scénographie demeure identique dans les deux versions, avec une Passion en équilibre tout comme ces comédiens sur la scène de l’impossible.

Mystère Bouffe et Fabulages
Version 2

De : Dario Fo
Textes français : Ginette Herry, Valeria Tasca, Claude Perrus, Agnés Gauthier
Mise en scène : Muriel Mayette
Scénographie et lumières : Yves Bernard
Costumes : Virginie Merlin
Musique originale : Arthur Besson
Dramaturgie : Laurent Muhleisen
Avec (selon les versions) : Yves Gasc, Catherine Hiegel, Véronique Vella, Christian Blanc, Alexandre Pavloff, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Christian Hecq, et les élèves-comédiens de la Comédie-Française Camille Blouet, Christophe Dumas, Florent Gouëlou, Géraldine Roguez, Chloé Schmutz, Renaud Triffault

En alternance du 13 février au 19 juin 2010

Comédie Française
Place Colette, 75001 Paris
www.comedie-francaise.fr

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