Critique de Bruno Deslot –
Grand dramaturge et metteur en scène italien, Dario Fo fait son entrée au répertoire de la Comédie Française avec « Mystère Bouffe et fabulages ».
C’est l’histoire du fils de Dieu !
Une nativité fêtée comme il se doit avec un p’tit Jésus, couvert de cadeaux par les rois mages, qui malgré tout, découvrira l’Egypte et les paysages de Jaffa. Hérode a sommé ses soldats de tuer tous les enfants de la cité, mais la Sainte Famille est en exil et les Innocents sont massacrés. A la demande de la Madone, Jésus exécute son premier miracle et ressuscite l’enfant qui avait refusé de jouer avec lui. La terre cuite retrouve une forme humaine. Boniface VIII, pontife du XIIIe siècle, en odeur de sainteté, homme agacé et vaniteux, ne supporte pas qu’on le contredise, et fait clouer les langues des moines ayant fait voeu de pauvreté, aux portes des châteaux de la noblesse locale ! En 1334, dans la plaine du Pô, le petit village de Ferrare est en ébullition, le cardinal légat du pape, engage ses troupes armées de Bologne sur les chemins d’Avignon où réside le Pape. Le comte d’Armagnac, dirigeant ces troupes, rebrousse chemin, c’est la débacle ! La merde s’abat alors sur le castel du légat qui arrivant à ses fins, meurt de produire une bille ! La Création n’a pas oublié de donner des ailes aux cochons qui volent vers le paradis pour en faire une porcherie. Ils fuient le ciel pour se faire brûler les ailes et retombent dans un baquet d’eau, s’écrasant le nez qui devient groin ! Mère de douleur, mère tout simplement, la Madone et la mère de Marc expriment leur amour pour leur enfant qui a échappé aux massacres des Innocents. Effet de la divine providence ? Les fabulages s’enchaînent avec rythme et facéties, pendant que des comédiens s’affairent à réaliser une Passion du Christ improbable.
La voix du peuple
Prix Nobel de littérature en 1997, Dario Fo fait son entrée à la Comédie Française avec Mystère Bouffe et fabulages, une pièce qu’il continue de construire à l’aide des recherches qu’il poursuit dans le monde entier. Dans une composition, pour le moins inhabituelle, le grand dramaturge et metteur en scène italien, propose une histoire religieuse et médiévale, revisitée par le jongleur de mots, le comédien qui, au moyen-âge, redonnait au peuple, espérance et joie. Raconter l’histoire du sacré par la voie du profane, proposer une relecture populaire des épisodes bibliques incontournables avec l’authenticité, la sincérité et la simplicité des mots du jongleur, humanise le propos et offre un point de vue touchant sur l’Histoire. Respectueux de la religion, Dario Fo, tout comme Pasolini, donne la parole au peuple et fait de la Sainte Vierge, une mère comme toutes les autres, éprouvée par la mort de son fils. Tout comme Caravage, le faisait en peinture, Fo offre un visage humain à ses personnages qui par la spontanéité et la sincérité de leurs propos, se confondent certes dans le grotesque, mais donnent à entendre des points de vue toujours plus proches de la fabuleuse et si mystérieuse aventure humaine.
La Passion en équilibre
Dario Fo a offert à Muriel Mayette, des fragments inédits de Mystère bouffe, que l’administratrice a réparti entre les comédiens qui disent leur texte sur un plateau nu, sans décor, jouant avec les codes d’un théâtre de l’adresse au public. L’art du jongleur, de la fable, du conte, émancipe la troupe du style de jeu à laquelle elle est habituée. Seul, face au public, chaque comédien dit un monologue riche, dense et inattendu. L’occasion de revenir sur la place et le rôle de l’acteur au théâtre, celui pour lequel Dario Fo s’est toujours fait le grand agitateur de sens, passant par une forme théâtrale orale, brute et ancestrale qui fait du théâtre quelque chose de pur et de nécessaire. Les choix textuels de Muriel Mayette pêchent sans doute par une certaine inégalité.
Le Mystère débute en fanfare avec l’intervention divine de Catherine Hiegel venue expliquer au public le principe de la fable grotesque et populaire, portée par la voix et le corps du jongleur. Après quelques monologues denses et spectaculaires sur la Nativité, l’arrivée des rois mages, Boniface VIII, le spectacle s’enlise dans la merde du légat pontifical et celle des cochons volants. Bien heureusement, Catherine Hiegel, clôt la représentation en mère aimante, portant dans ses bras, son enfant ayant échappé au massacre.
Vêtu de noir, pantalons tenus par une paire de bretelles, chaque comédien vient dire son monologue, dans une interprétation aussi surprenante que bouleversante, portant le texte de Dario Fo à bout de bras et magnifiant ainsi, le rôle du conteur. Le regard espiègle et complice, Catherine Hiegel, désormais sociétaire honoraire, donne les clés d’un théâtre complexe auquel son talent et sa justesse font honneur. Elle lève le voile sur le Mystère du théâtre, qui pour elle n’en n’est plus un ! Jongleur de haute volée, elle conclut le spectacle dans une touchante interprétation de la mère veilleuse et humaine. Elle est au centre du processus de création et porte le théâtre, dans son acception la plus noble, au firmament de la production artistique. Christian Hecq, récemment entré au Français, est une puissante machine comique qui s’empare du personnage de Boniface VIII pour en proposer une interprétation tonitruante, alternant entre les réactions des moines, à qui il fait couper la langue, le bruit de ces langues clouées aux portes des châteaux et les onomatopées d’étonnements de ces nobles, face à ce phénomène qu’un p’tit coup de burette ne fait pas taire, le comédien est exceptionnel. Stéphane Varupenne, qui entame sa deuxième saison au Français, cherche à s’approprier l’histoire particulièrement laïque et plutôt scato, des cochons désireux d’avoir des ailes pour gagner le paradis afin d’en faire une porcherie. Juste et sincère, le choix du texte le dessert, mais l’acteur s’en sort comme un prince.
Entre ces monologues, derrière un décor tout simple de tulle beige, Muriel Mayette met en scène la Passion du Christ qui s’offre, dans un ballet contrarié, aux regards émerveillés du spectateur découvrant un tableau de maître. Les formes et les couleurs florentines sont bien réelles, et le rendu est digne d’un tableau de Raphaël. Le Portement de Croix, la Crucifixion, la Descente de Croix (enfin du moins tentée !), la Passion est en équilibre et la beauté esthétique de l’ensemble, montre la fragilité du métier d’acteur, surtout lorsque suspendue sur sa croix, l’image christique qui invite à la méditation, est subitement contrariée par l’apparition des acteurs des coulisses du spectacle.
Belle leçon d’humanité que ce Mystère Bouffe et fabulages, même si on s’attendait à un ensemble bien plus haut en couleurs.
La proposition est déclinée en deux soirées, dans une même scénographie, mais avec des comédiens et des textes différents (cf version 2).
Mystère Bouffe et Fabulages
Version 1
De : Dario Fo
Textes français : Ginette Herry, Valeria Tasca, Claude Perrus, Agnés Gauthier
Mise en scène : Muriel Mayette
Scénographie et lumières : Yves Bernard
Costumes : Virginie Merlin
Musique originale : Arthur Besson
Dramaturgie : Laurent Muhleisen
Avec (selon les versions) : Yves Gasc, Catherine Hiegel, Véronique Vella, Christian Blanc, Alexandre Pavloff, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Christian Hecq, et les élèves-comédiens de la Comédie-Française Camille Blouet, Christophe Dumas, Florent Gouëlou, Géraldine Roguez, Chloé Schmutz, Renaud TriffaultEn alternance du 13 février au 19 juin 2010
Comédie Française
Place Colette, 75001 Paris
www.comedie-francaise.fr