ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Voià une petite pièce délicate et fragile où au sortir du théâtre on se dit mais qu’ai je donc vu ? On ne sait pas très bien mais quelque chose de tenace est là qui vous titille, vous gratouille. Un peu plus d’une heure d’heureux flottement, d’absurde et de non-sens. Une pièce Dada ou surréaliste, allez savoir. Six hurluberlus, jeunes comédiens, errent sur un plateau, l’air de rien, comme en apesanteur. Rien de lourd en effet, que de la légéreté, des petites bulles de savon mordorées qui font pop-pop, vous claquent entre les doigts, vous éclaboussent l’oeil. Aïe ça pique. C’est l’envers de la médaille…Une pièce réussie, fort bien troussée, sur une soirée ratée, un comble. Six drôle de zigues donc, unis comme les cinq doigts de la main plus un, un collectif en somme, au nom étrange de « La faim du soir tard ». Tout un programme déjà. Ca commence comme un conte, une légende, histoire d’une femme lézard à qui son amant a volé sa peau sans lui rendre, c’est ballot, et qui depuis dépérit. De son marécage on passe très vite au salon de Gabrielle qui dépérit, elle , de solitude et invite ce soir là les inconnus croisés chaque jour, anonymes qu’elle piste jusque dans les boulangeries. Et puisque nous parlons petits pains une question hante très vite chacun des convives, qui donc est Carole Pouillet ?, représentante d’une marque de madeleines, invitée elle aussi. A cette question elle même ne répondra pas, ignorant la réponse, ne sachant plus très bien qui elle peut être au fond, dématérialisée par ce petit gateau bombée qui prend toute sa place. Pas de réminiscence proustienne donc. On y croise aussi Paul Paulo n’ayant de cesse de se téléphoner frénétiquement et non sans angoisse. Une jeune fille, Suzanne à la recherche éperdue de Boris, l’homme de sa vie, parti, comme on attend désespérement Godot. Et le chien. Lequel, langue bien pendue, se prend pour un homme à moins que ce ne soit l’inverse, on ne sait pas vraiment. A qui chacun se confie. Mon chien c’est quelqu’un affirmait Raymond Devos. Ici c’est appliqué à la lettre. Et comme dans toute soirée avec de parfaits inconnus on discute ferme, de tout et surtout de rien, on s’y essaie du moins. On y chante aussi, très bien, entre chanson pop et opéra, on y danse, tout aussi bien. Mais c’est là, dans la conversation balbutiante, laborieuse souvent, que ça dérape franchement. C’est drôle, totalement azymuté. Ni queue ni tête, esprit d’escalier monté quatre à quatre, dévalé aussi sec. Marabout bout de ficelle…on connait la suite. Un peu tout ça à la fois donc. Ca part en toute logique dans tous les sens et le plus sérieusement du monde. C’est d’ailleurs cet esprit de sérieux, cet aplomb dans l’incongruité ne les lâchant pas qui fait tout le sel soupoudrant l’absurdité relative de ce qui est ennoncé. Mais le plus important ne se dit pas. Rien ne se dit jamais à vrai dire en soirée. Et c’est dans ces intervalles creux, ces intestices lâches ou s’immisce le silence, quand les anges passent en rafale et s’abattent en escadrille, que soudain éclate une évidence. Tout ça masque un gouffre de solitude et de désolation à l’image de ce marécage qui envahit bientôt le salon et que s’y installe la femme lézard. Car la revoilà, s’invitant sans façon, opérant là sa mue. Et c’est cette mue qu’à l’issue de la soirée nos six opéreront. Changer de peau quand on y est mal, jolie conclusion. Un brin naïve certes mais parfaitement assumée. C’est le propre des contes après tout. Mues, une pièce sur l’ultra moderne solitude, pour reprendre Alain Souchon, dont ils font de leur écriture collective et délicate une fable contemporaine caustique et poètique. Alors oui c’est un fort joli et délicat spectacle, fragile et sans prétention, mené habilement et sur la pointe des pieds, l’air de rien, avec un talent certain. Il y a certes du Jeanne Candel et Samuel Achache là dessous, comme une citation, une référence. Mais leur univers frappé au coin du non-sens mérite qu’on y entre sans réticence. Ces petites bulles de savon ça fait du bien. Même quand ça pique.
Mues création collective du Collectif La Faim du soir tard
de et avec Agathe de Wispelaere, Jean Hostache, Loup-Franck Poblete, Juliet Doucet, Louise Buléon Kayser, Garance Silve
Dramaturgie Juliette Allemand
Scénographie Charlotte Arnaud
Création Lumière Vincent Thuleaudu 22 au 30 avril
les lundis à 19h, les dimanches à 15hThéâtre de Belleville
94 rue du Faubourg du temple
Passage Piver
75011 Paris
réservations 01 48 06 72 34
www.theatredebelleville.com
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