Critiques // « Montaigne » d’après Montaigne, mise en scène Thierry Roisin au Théâtre Paris-Villette

« Montaigne » d’après Montaigne, mise en scène Thierry Roisin au Théâtre Paris-Villette

Avr 11, 2010 | Aucun commentaire sur « Montaigne » d’après Montaigne, mise en scène Thierry Roisin au Théâtre Paris-Villette

Critique d’Audren Destin

« C’est possible et ce n’est pas possible » Sextus Empiricus. C’est l’une des sentences qui étaient gravées sur les poutres du plafond de la bibliothèque de Montaigne, en haut de sa tour, dans son arrière-boutique comme il l’appelait, là où il pouvait exercer sa liberté et jouir de sa solitude.

« Je suis moi-même la matière de mon livre »

Les Essais de Montaigne est un livre à part, mêlant l’histoire, la sociologie, la philosophie, la politique, les anecdotes personnelles, les récits de voyages et tout un tas de choses encore. Il n’est pas limité, voué à une fin particulière, il n’a pas de plan précis et suit le mouvement hasardeux des pensées. C’est une mine d’or dans laquelle on peut puiser sans cesse. Thierry Roisin s’est particulièrement attaché à transposer sur scène cette sensation de mouvement qui est au cœur de sa pensée.

Le dispositif est simple, un tapis roulant traverse la scène et l’acteur marche à contre-sens sur ce tapis. La pensée est mouvement et l’homme qui pense est un homme qui se déplace. Mais la pensée ne suit pas toujours le même rythme, ainsi le tapis roule à différentes vitesses. Tantôt très lentement, il laisse à l’acteur la possibilité de s’arrêter un peu, de ne pas s’essouffler, tantôt très rapide, l’acteur doit marcher vite pour ne pas disparaître dans les coulisses. Sur ce tapis des objets passent qui évoquent la présence de l’auteur ou qui illustrent ses propos. Dans le désordre : des livres, une bouteille de vin, un portrait de Montaigne, un chandelier, un col comme celui que portait Montaigne lui-même, un jeu de tarot, un chou-fleur, des oiseaux vivants, le panneau de l’avenue Montaigne, celui de la rue de La Boétie, des bottes, beaucoup de bottes (est-ce pour signifier que la pensée doit être bien chaussée pour être pertinente ?) et des valises aussi, que Montaigne emporte avec lui et dont il se détache au fur et à mesure. Montaigne est un homme qui a voyagé par l’esprit et par les routes. Quand il parle de l’éducation des enfants, le voilà soudain envahit de cartons de couches culottes. Quand il critique la religion, c’est une église, un temple et une mosquée qui apparaissent.

Quand la pensée se déshabille

Séquence émotion… L’acteur vient de disparaître dans les coulisses. Puis sur le tapis, apparaît une paire de chaussures, de chaussettes, un pantalon, une veste, une chemise et soudain, nu comme un ver, Montaigne lui-même ! D’aucuns diront que c’est une fantaisie mais si l’on reste dans la logique de la représentation de la pensée, cela prend tout son sens. En effet, que vaut une pensée qui ne sait se mettre à nu ? Et puis quoiqu’on en dise, une scène de nu dans un spectacle, ça a toujours l’avantage de réveiller les éventuels dormeurs. Tout à coup, c’est comme si un frisson parcourait la salle. Et à part les quelques rires étouffés des plus jeunes, on sent que l’attention des spectateurs est à son maximum, elle est presque palpable dans le silence devenu soudain plus pesant.

Mon ami humaniste

Il faut redécouvrir Montaigne et ce spectacle est une excellente opportunité pour cela. Les livres sont de précieux amis et Les Essais font partie de ceux qu’on se plait à visiter à tous moments.

Assis dans l’herbe, Montaigne songe, « tous les jours vont à la mort, le dernier y arrive ». En attendant ce jour funeste, il nous reste à vivre.

Montaigne
D’après : Montaigne, « Les Essais »
Mise en scène : Thierry Roisin
Avec : Yannick Choirat, Samuel Maître (clarinette), Agnès Raina (flûte)
Manipulateur : Baptiste Chapelot, Yannick Bourdelle, Marion Lefebvre, Marie-Laurence Fauconnier
Scénographie : Jean Pierre Larroche
Réalisation du décor et des accessoires : Nicolas Diaz
Costumes : Isabelle Périllat
Lumières : Gérald Karlikow
Musique : François Marillier
Dramaturgie : Frédéric Révérend
Collaboration artistique : Olivia Burton
Adaptation : Olivia Burton et Thierry Roisin

Du 09 au 17 avril 2010

Théâtre Paris-Villette
Parc de la Villette, 211 avenue Jean Jaurès, 75 019 Paris – 01 40 03 72 23
www.theatre-paris-villette.com

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.