ƒƒƒ article de Denis Sanglard
© Brigitte Enguerand
Ce n’est sans doute pas la pièce la plus jouée de Molière. Monsieur de Pourceaugnac, comédie Ballet en trois actes est une farce cruelle, sombre sous le masque de la comédie qui emprunte à la commedia del arte ses personnages, son canevas et son énergie. C’est bien plus qu’une comédie Ballet. La musique n’illustre pas, n’est pas intermède musical mais participe pleinement de la dramaturgie. Clément Hervieu-léger ne s’y trompe pas qui invite sur le plateau les musiciens et les chanteurs, Les Arts Florissants, ces derniers endossant aussi le rôle de comparses des principaux protagonistes de cette farce menée tambour-battant.
Monsieur de Pourceaugnac arrivé de Limoge pour épouser Julie qui n’en veut pas, qui ne l’a jamais vu, devient l’objet de « pièces » montées par Sbrigani et Nérine au service d’Eraste l’amant de Julie. Ce provincial débarqué fraîchement dans la capitale qu’il ne connait pas devient la proie de médecins et d’apothicaires, de gardes suisses, d’épousées furieuses, d’avocats… Des intrigues énormes dont il est le centre et auquel il ne comprend strictement rien. C’est un homme perdu qui peu à peu perd la raison dans ce maelstrom d’affaires lui tombant dru dessus. Notre victime travestie en femme fuira la capitale.
Argent, mariage arrangé, amours contrariés, médecin, maladie, fourberie, travestissement, père autoritaire et trompé, dans Monsieur de Pourceaugnac Molière reprend ses chevaux de bataille, les grands thèmes de ses comédies, concentrées ici en trois actes denses. Il y a du Bourgeois Gentilhomme dans Léonard de Pourceaugnac, du Scapin dans Sbrigani, valet inventif, du Diafoirus chez le Médecin… La mise en scène de Clément Hervieu-Leger, transposant l’œuvre idéalement dans les années cinquante, est un bonheur pour les spectateurs. Pleine de pépites et de jolies trouvailles, d’inventions, c’est une mise en scène vive et dynamique, pétillante, colorée, menée grand train dans un rythme endiablé que tempère à peine la musique de Lully dirigée par William Christie (en alternance avec Paolo Zanzu) à la tête des Arts Florissants. Des musiciens et des chanteurs sur le plateau, spectateurs et acteurs dans cette sarabande infernale qui provoquent la chute brutale d’un homme. Car sous le masque de la comédie et du burlesque, la cruauté, la violence couve, éclate jusque dans le rire. Pas de caricature pourtant malgré l’énormité des situations, tout est dans la nuance délicate des personnages jusque dans leurs compositions les plus énormes. Clément Hervieu-Léger sous la farce apparente relève combien Molière jetait sur la nature humaine un regard lucide et mélancolique. Monsieur de Pourceaugnac semble concentrer cette vision du monde, contenue en trois actes tendus, ébouriffants et comme grossie sous une loupe.
Et c’est une troupe, véritablement, que réunit le metteur en scène. Les acteurs et les chanteurs y sont formidables qui mènent cette ronde au grand galop et sans jamais fléchir, sans temps mort. Les chants et les danses prenant le relai dans cette même dynamique sans casser le rythme mais au contraire allégeant celui-ci permettent de reprendre un peu de souffle entre deux éclats de rire, un peu de distance aussi. Ce n’est pas Brechtien, pas encore mais cela y ressemble déjà. Il y a quelque chose de rare de voir ainsi autour de cette création autant d’enthousiasme, ça se sent, ça se voit, offrant une belle unité, une cohésion à l’ensemble.
Merveilleux Gilles Privat qui de Pourceaugnac ne fait pas un balourd mais un personnage égaré dans une aventure devenue trop grande pour lui. Il y a de la poésie chez cet homme-là. De la légèreté. Gilles Privat évite la lourdeur et la charge caricaturale. Son personnage de provincial tout de naïveté et de candeur, ce qui ne veut pas dire niaiseux, combattif aussi mais en vain devant ce groupe hostile qui cherche à le lyncher, en devient magnifiquement attachant. Balloté par des évènements qu’il ne peut maîtriser, bousculé par une horde sans pitié, sa descente aux enfers en devient non pathétique mais tout simplement terrible, tragique. Perdu dans la ville et dans sa tête il finit par disparaître du plateau, travesti en femme, dernière humiliation, expédié, jeté sans ménagement et sans que nous connaissions ce qu’il advient de lui. Purement et simplement effacé après une chasse à l’homme sans pitié. Etrange et dure fin… Etrange écho aussi, bizarrement, de notre époque malade qui rejette l’autre, l’étranger. Qu’il soit de Limoge ou de Syrie.
Face à lui, Daniel San Pedro compose un Sbrigani retors, inquiétant, sombre parfois. Chef de bande, et quelle bande !, loin du valet classique, puisant aux sources de la commedia Del Arte, c’est un Scapin tout aussi rebelle, habile aux changements de compositions. Daniel San Pedro s’en donne visiblement à cœur joie et saute à pieds joints dans son personnage, nous éclaboussant de son talent bouillonnant, pour notre plus grand plaisir. Il faudrait les nommer tous, musiciens, chanteurs et comédiens, car tous ils contribuent grandement à cette belle réussite où le rire tonne et le dispute à une réflexion plus grave. Où la musique fait corps avec le théâtre. Toute la modernité de Molière.
Monsieur de Pourceaugnac Comédie-Ballet de Molière et Lully
Mise en scène Clément Hervieu Léger
Direction musicale et conception musicale du spectacle William Christie
Décors Aurélie Maestre
Costumes Caroline de Vivaise
Lumières Bertrand Couderc
Son Jean Luc Ristord
Chorégraphie Bruno Bouché
Maquillage et coiffures David Carvalho Nunes
Assistant musical Paolo ZanzuAvec Erwin Aros, Clémence Boué, Cyril Costanzo, Claire Debono, Stéphane Facco, Mathieu Lécroart, Juliette Léger, Gilles Privat, Guillaume Ravoire, Daniel San Pedro, Alain Trétout
Et les musiciens des Arts Florissants, Paolo Zanzu, William Christie, Liv Heym, Michèle Sauvé, Samantha Montgomery, Myriam Bulloz, Jean-Luc Thonnérieux, Martha Moore, Pauline Lacamba, Tiam Goudarzi, Sebastien Marq, Claire Antonini, Thomas Dunford, Marie-Ange Petit
Régie générale et régie plateau David Ferré, Grégoire Boucheron
Régie lumières Fabrice Paillet
Régie son Olivier Hoste
Habilleuse Pauline Juille
Assistée d’Alice FrançoisThéâtre des Bouffes du Nord
37bis boulevard de la Chapelle
75018 Paris
Du 14 juin au 09 juillet 2016
Du mardi au samedi à 20h30, matinée les samedis à 15h30
Réservations 01 46 07 34 50
www.bouffesdunord.com
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