ƒ article de Camille Hazard
© Giovanni Cittadini Cesi
Emmanuel Meirieu, metteur en scène familier des adaptations de romans pour le théâtre, s’empare de deux magnifiques textes de Sorj Chalandon Mon traitre et Retour à Killybegs. Ces deux textes indépendants, distincts et écrits respectivement en 2008 et 2011, forment une même partition à deux voix. Mon traitre fait entendre la voix d’Antoine, homme trompé et trahi ; luthier parisien il rencontre et se lie d’amitié avec Tyrone, vétéran de l’IRA qui s’avérera par la suite être agent double pour les services secrets britanniques. Dans le second texte, c’est Tyrone qui prend la parole ; le récit de sa vie depuis l’enfance, les souffrances qui s’abattent sur sa famille, la guerre, une erreur fatale qui le poussera à trahir les siens, tout cela forme un long plaidoyer pour ce traitre qui mourra assassiné en 2007 par un commando républicain.
« Nous sommes des prisonniers politiques »
Trois comédiens se succèdent au micro pour faire résonner les différents points de vue de l’histoire.
Le 14 avril 2007, au cimetière de Belfast, Tyrone Meehan est enterré.
Antoine prend la parole; dans une longue complainte à l’oralité parfois « slamée », il convoque les souvenirs d’une amitié brisée, interroge l’homme qui lui a tout donné et qui, à travers sa tromperie, a tout repris. Puis Jack, le fils du traitre prend la parole ; à la manière d’un chant funèbre rock, il implore son père de se relever d’entre les tombes et de réparer sa faute. Alors Tyrone Meehan entend son fils, entend tous ceux qu’il a laissé pantois, sans repère, amputés d’eux-mêmes. Il revient une dernière fois parmi les vivants et dans un ultime souffle expie son crime. Il raconte son enfance avec sa mère, ses frères, sa sœur, puis ses débuts dans la brigade de Belfast, la prison, la nuit où par erreur il a tiré dans le dos de son ami, le chantage des agents britanniques, sa trahison. Le récit de sa vie prend figure de plaidoyer tant la souffrance, l’inhumanité, l’injustice rampent à ses côtés depuis qu’il est venu au monde. Famille maudite au destin tragique.
Emmanuel Meirieu réunit les deux textes de Chalandon avec intelligence; le destin tragique de cet homme apparaît discrètement, plus le texte résonne moins il est aisé de juger cet homme déclaré coupable de trahison. Les replis de sa vie l’innocentent peu à peu et le seul coupable prend alors un nouveau nom, la guerre.
Jean-Marc Avocat qui incarne Tyrone, amène une dimension très forte au personnage en devenant le porte drapeau des Hommes en lutte, des Révoltés, des Insoumis.
Mais la scénographie pourtant très sobre ne parvient pas à aller à l’essentiel. L’usage de la vidéo, de la fumée qui envahit le plateau et de la ligne musicale en fond sonore, apparaît plutôt comme décorum et n’apporte rien à la beauté du texte. Le jeu des comédiens est assez inégal et on le regrette beaucoup. Emmanuel Meirieu fait le pari avec raison, d’un spectacle dans lequel tout repose sur le jeu, sur l’incarnation du verbe ; il est dommage que l’écriture de Chalandon ne prenne pas toujours corps, toujours voix chez les trois comédiens.
Mon traitre
D’après les romans Mon traitre et Retour à Killybegs de Sorj Chalandon
Adaptation et mise en scène Emmanuel Meirieu
Collaboration artistique Loïc Varraut
Musique Raphaël Chambouvet
Costumes Moïra Douguet
Son Sophie Berger, Raphaël Guenot
Décor, lumières et vidéo Seymour Laval, Emmanuel Meirieu
Maquillage Barbara Schneider, Roxane Bruneton
Régie générale Gabriel Guenot
Avec Jean-Marc Avocat, Stéphane Balmino, Laurent CaronDu 4 au 29 janvier 2017
Tous les jours sauf le lundi à 21h, le dimanche à 15h30
Théâtre du Rond-Point
2 bis, Avenue Franklin D.Roosevelt – 75008 Paris
M° Franklin D.Roosevelt
Réservation 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr
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