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Moi, Corinne Dadat, conception de Mohamed El Khatib, au Théâtre National de La Colline

Avr 01, 2017 | Commentaires fermés sur Moi, Corinne Dadat, conception de Mohamed El Khatib, au Théâtre National de La Colline

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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© Marion Poussier

Qui est Corinne Dadat ? Le juste regard que porte Mohamed El Khatib sur Corinne Dadat fait voler en éclat nos préjugés imbéciles. Ce n’est pas la femme de ménage qu’il observe avec  attention mais la femme, Corinne Dadat. Caractère rude en apparence, sans langue de bois, une sacrée et belle personne, une humanité sans fard. C’est ça que Mohamed El Khatib débusque avec beaucoup de délicatesse derrière la bravade. Celle qui dit ne plus avoir de rêve mais un quotidien, qui aligne sur le plateau consciencieusement ses produits ménagers comme on décline scrupuleusement ses qualités, les capitals des entretiens d’embauches, ceux là-même qui avant qu’elle ne prenne la parole se déclinent derrière elle avec beaucoup d’ironie, balayent d’une parole coupante nos a-prioris soulevés par les questions incisives de Mohamed El Khatib. Oui on peut être femme de ménage, écouter Schubert, NTM, aimer le ballet classique. Superbe image, bouleversante même, de la voir assise sur un siège de bureau et regarder Le Lac des cygnes, les pieds voltigeant à suivre la chorégraphie d’un quatuor. Oui, on n’ignore rien non plus de l’art contemporain. S’appeler Dadat et nettoyer des urinoirs toute la journée, forcement, ça aide…Non, tous les bourgeois employeurs ne sont pas obligatoirement des salauds. En somme, c’est notre regard porté sur elle, femme de ménage, qui est impitoyablement et avec beaucoup d’humour retourné comme un gant, nettoyé comme on passe un coup de serpillère à grande eau. Ce simple fait de réduire une personne à sa fonction sociale, son emploi, sa classe. Ne plus voir que la fonction, se substituer à l’être. Le jugement social tenace inconscient qui vous colle salement à la peau. Et à travers elle, au delà même, c’est tout un pan du prolétariat, et sa précarité quotidienne, anonyme, qui est dénoncé, accusé en filigrane. Sans fatalisme ni complaisance mais avec une lucidité qui vous tient debout pour un peu moins de 1200 euros par mois, 10 euros de l’heure… Et pas le temps ni les moyens, dit elle, de faire un burn-out. Une dépression, à la rigueur, serait plus dans ses moyens. Ce que réalise et réussit, parce qu’il n’élude rien, Mohamed El Khatib n’est pas un spectacle en soi mais l’exposé d’un état, d’une rencontre singulière et forte. Théâtre documentaire plus qu’autofiction c’est une vraie réussite parce que devant nous Corinne Dadat est là, ne joue pas, sa parole libre est sienne, même défaillante, car sa mémoire lui joue des tours. Surtout Mohamed El Khatib ne se substitue jamais à elle. Il pose des questions pertinentes, impertinentes, c’est parfois du pareil au même, provoque gentiment mais reste à sa place, ne juge pas.Questions auxquelles elle répond non sans humour mais avec une franchise désarmante qui ne cache rien de sa condition ni de ses opinions tranchées, encore moins de ses émotions. L’évocation de sa mère casse soudain cette révolte étouffée qui sourd au long de cette création pour un instant de fragilité qui vous mord brutalement. Ce qu’il met en scène avec beaucoup de simplicité, sans pathos ni misérabilisme, on n’ est pas chez Victor Hugo même si Cosette est citée avec malice, c’est un corps usé, raide – démonstration à l’appui -, une vie de labeur mais une parole encore claire, tranchante, singulière. Et cette singularité là, très vite et naturellement,  glisse vers une portée plus générale.  Car elle n’est pas seule sur le plateau Corinne Dadat. Elodie Guézou est là aussi. Contre-point et écho à Corinne Dadat, un lien étonnant et juste, surprenant au premier abord mais d’une très grande et délicate subtilité… Danseuse, jeune, un peu plus de vingt ans peut être, ( Corinne dadat à un peu plus de la cinquantaine),mais c’est la même précarité qui est dénoncé. Un avenir incertain, bientôt sans doute compromis, pas de réseau, pas de perspective, une impossibilité à mener des projets personnels. Une intermittente…Et quand elle nettoie le sol de ses cheveux devenus serpillère, chorégraphie à la violence inattendue, on se dit que oui, le parallèle est pertinent, la relation est évidente. Elles sont l’une et l’autre deux maillons d’une même chaîne, broyées par le système. Mohamed El Khatib évite avec bonheur l’écueil d’une création par trop démonstrative pour laisser toute la place à une parole, une vie, celle de Corinne Dadat. Et c’est tout simplement poignant de vérité sèche. Indispensable.

Moi, Corinne Dadat
Conception de Mohamed El Khatib
Avec Corinne Dadat, Elodie Guézou et Mohamed El Khatib
Environnement numérique  Benjamin Cadon et Franck Lefèvre
Environnement sonore  Raphaëlle Latini et Arnaud Léger
Environnement visuel  Fred Hocké
Photographe associée  Marion Poussier
Régie générale  Zakari Dutertre

du 22 mars au 1er Avril 2017
du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h

Théâtre national de la Colline
Petit Théâtre
15 rue Malte-Brun – 75020 Paris
M° Gambetta
Réservation 01 44 62 52 52
Billeterie@colline.fr

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