Critiques // « Modèles » de Pauline Bureau au CDN de Montreuil

« Modèles » de Pauline Bureau au CDN de Montreuil

Jan 11, 2011 | Aucun commentaire sur « Modèles » de Pauline Bureau au CDN de Montreuil

Critique de Ottavia Locchi

« On ne naît pas femme : on le devient »
Simone de Beauvoir

Une interrogation : « Que deviennent les femmes ? » et trois spectacles qui tentent de répondre à cette question. Ce mois-ci, le Centre Dramatique National de Montreuil parle et fait parler les femmes. Le premier volet, « Modèles », est une création issue d’une écriture collective exclusivement féminine, en toute évidence et simplicité.

Cinq femmes se racontent et nous emmènent au cœur d’un spectacle à la fois lumineux, énergique et enrichissant. Alternant tableaux chantés, racontés, dansés et joués, les comédiennes laissent s’exprimer leurs expériences de femmes. Elles parlent de rêves, de sexualité, de règles, de réalité, de découvertes, tout ce que nos ancêtres femmes vivaient sans jamais extérioriser quoi que ce soit. Des chansons rythment les différentes scènes, et on apprécie de voir apparaître une interview de Virginie Despentes ou de Marguerite Duras.

Dans cette pièce, la femme n’est pas une caricature “girly” qui parle de mecs et d’épilation. Il y a une véritable recherche de fidélité quant à l’identité féminine d’aujourd’hui. Chacune des comédiennes incarne un type de femme, son type de femme probablement, un poil caricature mais tellement réaliste ! La provocante, le garçon manqué, la discrète réservée, la blessée… Toutes ces femmes marquent une infime partie de ce que peut être, ce que peut incarner, et ce que peut représenter un être de sexe dit faible.

© Cédric Calmels

« J’ai remarqué que la venue de mon amoureux me mettait dans un stress ménager intense »

Cette pièce est pleine d’audaces, bourrée à craquer de clins d’œil et jubilatoire comme pas permis. Coup de chapeau à ces jeunes demoiselles qui incarnent tout au long de la pièce différents personnages à travers plusieurs thèmes. On peut parler de viol, de blessures, et la domination masculine est aussi une clé de cette féminité dont on parle. Paradoxalement, on note une certaine discrétion concernant la masculinité. La femme ne s’identifie pas / plus par rapport à l’homme, et n’est plus « femme de ». Cette évolution est illustrée assez concrètement dans une scène où une jeune mère lutte pour gérer à la fois les courses, le dîner, le ménage, le téléphone, le mari, le boulot, le tout en surveillant le bébé qui commence à brailler : C’est d’une drôlerie et d’une justesse affolante !
On assiste aux représentations féminines qu’on côtoie quotidiennement, tout en observant la transmission qui s’est effectuée au-delà de la transformation sociale qui s’opère petit à petit depuis quelques siècles.

La mise en scène « zapping » de Pauline Bureau marque avec force et énergie une prise de place dans un paysage réel et imaginaire. Quatre des fille s’alignent à plusieurs reprises et nous parlent, à la manière des « Monologues du Vagin » (Eve Ensler), puis elles s’envolent vers d’autres rêves en chantant ou dansant maladroitement. La cinquième nous apparaît épisodiquement sur un écran géant, vidéo en temps réel, et soulève des questions plus intellectuelles (« Et si Shakespeare avait eu une sœur aussi douée que lui ? ») et amène délicatement la finesse et la complexité des blessures féminines éternelles. La vidéo fait partie intégrante du spectacle, elle retranscrit, elle sert de zoom ou elle offre une autre perspective sur un corps de femme.
La scénographie soulève par elle-même le principe selon lequel une femme se construit, qui est accessoirement le titre du spectacle : des mannequins sont installés partout, habillés ou pas, ils sont omniprésents sur scène avec nos comédiennes. Leurs modèles ne les quittent pas !

« J’étais une femme, et comme telle, je devais subir le sang et fermer ma gueule »

Cinq identités nous emmènent dans leurs histoires et leurs féminités, se complétant à merveille. Laure Calamy nous fait rêver et rire en petite princesse en tutu, puis se transforme en jeune femme un brin provocante, le tout agrémenté d’un soupçon de cliché fort bien placé ! Le garçon manqué, c’est Marie Nicolle, qui chante avec sa guitare et revet des bretelles dès qu’elle en a l’occasion. Elle dira au cours d’un de ses textes « Je suis une princesse. Je rote, je pète, je fais caca, comme toutes les princesses », pour parfaire son charme ! Sonia Floire, naturelle, laisse s’échapper une douceur qui lui est propre, tout en faisant du clavier, ou nous racontant les malheurs de ses découvertes sexuelles. Sabrina Baldassara a le mérite d’être l’élue qui nous chantera « Fuck U » (Lily Allen), pour le plus grand bien de nos oreilles ! Énergique et délicate, elle incarne une jeune fille plutôt timide qui confie ses expériences avec simplicité. Enfin, c’est Gaëlle Hausserman qui apparaît sur écran géant, signant ainsi une performance de comédienne à distance.
Un homme, cependant, apparaît continuellement sur une petite estrade sur le côté : un musicien ! Omniprésent mais ne participant pas à l’action pour autant, il accompagne les jeunes comédiennes pendant les chansons ou les musiques qu’il interprète seul à la guitare. Cette présence masculine rappelle agréablement qu’il n’est pas obligatoire d’exclure les hommes pour se sentir femme…

Ce spectacle est petit un bijou malicieux et pétillant qui oscille entre ironies, illustrations, questionnements et désir d’évoquer des réalités drôles et moins drôles. Voilà exactement ce dont on a besoin en ces périodes de mutation sociale des sexes !

Modèles
Mise en scène : Pauline Bureau
Avec : Sabrina Baldassara, Laure Calamy, Sonia Floire, Gaëlle Hausermann, Marie Nicolle
Dramaturgie : Benoîte Bureau
Scénographie : Emmanuelle Roy
Lumière : Jean-Luc Chanonat
Son : Vincent Hulot
Costumes : Alice Touvet
Production La Part des Anges

Du 5 au 11 janvier 2011
Reprise du 22 au 26 novembre 2011

Nouveau Théâtre de Montreuil – Centre Dramatique National
Salle Maria Cassarès

63 rue Victor Hugo, 93 100 Montreuil
Métro Mairie de Montreuil – Réservations 01 48 70 48 90
www.nouveau-theatre-montreuil.com


Autour de « Que deviennent les femmes ? »
Corps de Femme 2 de Judith Depaule
Pour l’instant je doute de Marie Fourquet

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