Critiques // « Mère Courage » de Bertolt Brecht par le Berliner Ensemble au Théâtre de la Ville

« Mère Courage » de Bertolt Brecht par le Berliner Ensemble au Théâtre de la Ville

Sep 19, 2014 | Commentaires fermés sur « Mère Courage » de Bertolt Brecht par le Berliner Ensemble au Théâtre de la Ville

ƒƒƒ article de Camille Hazard

En 1939, Bertolt Brecht, alors en exil en Suède, commence à imaginer le personnage de Mère courage : personnage inspiré de La Vagabonde Courage de Johann Jakob Christoph Von Grimmelshausen. Pendant la guerre de trente ans, cette femme-mère-commerçante va faire du négoce, son cheval de bataille. Dans la misère de la guerre, dans l’horreur des tueries, des viols, de la perdition du peuple, elle aura toujours une chemise, un verre de schnaps à vendre.

Le 19 avril 1941, Alors que la seconde guerre mondiale bat son plein, Brecht présente cette chronique de guerre en douze tableaux, au Schauspielhaus de Zurich. Ce n’est qu’en 1954 que la pièce est programmée pour la première fois au Théâtre Sarah-Bernhardt (qui deviendra plus tard le Théâtre de la Ville) ; coup de tonnerre dans le paysage théâtral, la France découvre le théâtre de Bertolt Brecht. On parle de 26 rappels pour Hélène Weigel qui incarna la première Mère Courage !

C’est dans cette ambiance d’anniversaire et de mémoire que le Théâtre de la Ville réinvite le Berliner Ensemble pour faire rouler, une nouvelle fois sur les planches, la légendaire charrette de La mère Courage.

mere_courage1 © Monika Rittershaus

S’attaquer à cette œuvre puissante et complexe, n’est pas de tout repos même pour Claude Peymann, metteur en scène talentueux qui dirige le Berliner Ensemble. Cette fresque épique, poétique, tragique, côtoyant le théâtre de carton et de poussière, nous renvoie à notre humanité, à notre morale et à notre responsabilité en temps de guerre. Car derrière l’image de cette femme qui roule sa bosse sur les champs de bataille pour gagner quelques sous et en vient à espérer une guerre éternelle pour faire fructifier ses deniers, Brecht porte un regard sur le monde, à travers le prisme des petits gens. Ce sont bien les puissants qui s’enrichissent pendant les conflits mais cela n’enlève en rien la responsabilité qui incombe au peuple !

A la grande question du profit et de la morale, vient se greffer une multitude d’interrogations sur notre condition humaine.

Depuis des siècles le même cercle vicieux est en marche. Nous sommes prêts à vendre notre âme pour gagner de l’argent, par instinct et nécessité de survie mais l’exercice du commerce corrompt notre âme et nous détourne de cette nécessité première pour accumuler de façon déraisonnée… Le profit coûte que coûte. Notre morale s’effondre, notre responsabilité est engagée.

Le spectacle dans son ensemble est magistral. Certains éléments scéniques, visuellement magnifiques, ne paraissent pas essentiel et se révèlent même in tantinet appuyés; présence de la fameuse tournette, emblème du Berliner Ensemble (qui ici, ne tourne pas…), tours de lumières façon miradors nazis, néons fluorescents surplombants la carriole Courage & Co… Mais ça sent la poussière, le maquillage, ça pue la guerre et la misère. Les chants s’élèvent en cris déchirants dans une atmosphère macabre et vile.

Tout semble sur le point de s’effondrer mais c’est sans compter sur la volonté humaine à poursuivre son dessein…

Carmen-Maja Antoni porte le rôle de La Courage avec évidence ; elle porte sa lutte pendant 3h20 sur le plateau. Une femme brasier emplie de contradictions. Elle parle le texte de Brecht mais parle également dans chaque silence, dans chaque regard. Les autres comédiens de la troupe tiennent leur rôle jusque dans le plus petit pli de tissu, ils habitent leur maquillage, leur papier journal dans les bottes, ils sont là sur un plateau noir mais nous les voyons sur les champs de bataille.

Les changements de décors entre chaque tableau et dans l’obscurité la plus totale, créent des spasmes de distanciation où le spectateur, seul avec lui-même, est plongé dans la solitude de sa condition… Et nous ? Quelles responsabilités ? Et nous ? Quelle morale ?  

Mère Courage
De Bertolt Brecht
Par le Berliner Ensemble
Musique de Paul Dessau
Mise en scène Claus Peymann
Décor Frank Hänig
Costumes Maria-Elena Amos
Dramaturgie Jutta Ferbers
Lumières Karl-Ernest & Ulrich Eh
Arrangements & direction musicale Rainer Böhm
Assistante à la mise en scène Miriam Lüttgemann
Assistant au décor Norman Heinrich
Assistante aux costumes Wicke Naujoks
Souffleuse Sonja Behrens
Régisseur Rainer Manja
Directeur technique Stephan Besson
Chargé de production Mirko Baars
Direction des costumes & maquillages Barbara Naujock
Maquillages Ulrike Heinemann
Son Alexander Bramann
Rédaction & sous-titres Michel Bataillon
Avec Carmen-Maja Antoni, Karla Sengteller, Raphael Dwinger, Michael Rothmann, Martin Schneider, Veit Schubert, Manfred Karge, Ursula Höpfer-Tabori, Axel Werner, Martin Seifert, Marko Schmidt, Hannes Lidenblatt, Gudrun Ritter, Claudia Burckhardt, Roman Kaminski.
Musiciens Matthias Erbe, Cathrin Pfeifer, Silke Eberhard, Michael Yorkas, Clemens Rynkowski, Manfred Wittlich

Du 17 au 26 septembre 2014
Tous les jours à 20h30 (durée 3h20)

Théâtre de la Ville
2, Place du Châtelet – 75004 Paris
M° Châtelet
Réservation 01.42.74.22.77

www.theatredelaville-paris.com

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