Critiques // « Médée » d’Euripide mis en scène par Laurent Fréchuret au CDN Sartrouville

« Médée » d’Euripide mis en scène par Laurent Fréchuret au CDN Sartrouville

Nov 08, 2010 | Aucun commentaire sur « Médée » d’Euripide mis en scène par Laurent Fréchuret au CDN Sartrouville

Critique d’Anne-Marie Watelet

Une « lecture musicale de la pièce ».

Cette tragédie antique, Laurent Fréchuret, le metteur en scène, l’a travaillée avec Florence Dupont qui réalisa la traduction pour cette création, comme une expérience théâtrale. Ils ont choisi d’en faire une lecture musicale : musique instrumentale et vocale ainsi que les chœurs comme champs rituels de deuil et générateurs de sentiments. Médée, jeune fille de sang royal en Colchide, a permis à Jason de conquérir la Toison d’Or (le voyage des Argonautes). Pour lui, elle a trahi les siens et sa patrie, et deux enfants sont nés de leur union. L’intrigue ici : Jason l’a abandonnée pour la fille du roi Créon à Corinthe, puis elle est répudiée par le roi qui la bannit avec ses enfants. Rejetée de tous, elle ne se résout pourtant pas à l’exil, et en appelle aux Dieux pour se venger, et aux femmes pour comprendre son désespoir. Rassemblant ses forces dans un ultime acte de folie destructrice, elle tue ses enfants.

© Christophe Raynaud de Lage

« Nous sommes sur la bonne route
Aujourd’hui l’espoir est arrivé avec le temps de la vengeance
Mes ennemis seront punis.
» (scène 8).

Le personnage de Médée, la révoltée parmi toutes les femmes, a toujours fait l’objet de questionnements et d’interprétations dans tous les domaines de création artistique : au théâtre avec Heiner Müller, plus récemment avec Laurent Gaudé ; sur le livret de Pierre Corneille, Marc-Antoine Charpentier signe une partition, en 1693, l’opéra de Chérubini, en 1797 ; Delacroix l’immortalise sur une toile, en 1862 ; le Ballet d’Angelin Preljocaj, en 2005 ; le film de Pasolini.

Elle suscite des sentiments extrêmes : admiration/horreur. Elle est la femme humiliée, trahie, mais elle n’accepte pas, et dépasse l’humain. Sa volonté puissante fait d’elle une figure féminine mythique.

Le metteur en scène a pris le parti classique de faire exister cette Médée et les autres personnages dans un jeu frontal avec le public, et toute la violence est portée par les mots. Catherine Germain porte Médée dans sa voix et dans sa chair, ses mots deviennent par son jeu, incandescents : lamentations désespérées, exhortations aux Dieux. Mais si l’actrice est convaincante, si la comédienne qui interprète le chœur s’impose magnifiquement dans sa diction et sa voix impérieuse, il n’en va pas de même pour le comédien jouant Jason : que justifie le choix d’un acteur âgé ? (Jason est très jeune). D’autre part ses mots ne respirent pas, il manque d’intériorité et de jeu. Quel dommage en face d’un personnage comme Médée !

© Christophe Raynaud de Lage

Dans le prologue, l’utilisation de la vidéo est-elle pertinente ? Les images d’enfants heureux sont certes très belles, mais n’est-ce pas artificiel ?

Du début à la fin la musique contemporaine (batterie, violon, guitare électrique), sur le plateau, suit la métamorphose de Médée en furie. Cet accompagnement musical ponctue, scande et témoigne de l’action, nous transmettant la violence des sentiments de Médée.

La scénographie est axée sur un décor symbolique de l’union passionnée de ces deux héros. La maison voilée signifiant leur passé commun, restera un témoin vide. La lumière sombre et floue baigne le plateau et la maison, signe ici de malheur. Les éléments du décor comme la robe de mariée ne sont pas assez exploités dans la mise en scène, et le masque porté juste au début n’a pas trouvé son sens. Pour rester dans cette mise en scène frontale classique, les acteurs sont vêtus d’un costume qui l’est tout autant : pantalon noir et chemise blanche, formule trop vue.

C’est toujours une émotion forte d’écouter ce texte sublime, et nous nous attendons, d’après cette mise en scène sobre et dépouillée, à ce que tous les comédiens le portent à nu. Hélas, des vides de vie nous empêchent parfois d’être captés par l’émotion.

Médée
De : Euripide
Traduction : Florence Dupont
Mise en scène : Laurent Fréchuret
Avec : Xavier Boulanger, Takumi Fukushima, Catherine Germain, Dominique Lentin, Mireille Mossé, Jean-François Pauvros, Martin Seize, Zobeida
Scénographie : Stéphanie Mathieu
Lumière : Franck Thévenon
Musique : Dominique Lentin, Takumi Fukushima, Jean-François Pauvros
Costumes : Martha Roméro

Du 4 au 6 novembre 2010

Théâtre de Sartrouville
Place Jacques Brel, 78 500 Sartrouville
www.theatre-sartrouville.com

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