Paroles d'Auteurs // « Maria et les autres, Femmes d’en France » de Gérard Levoyer

« Maria et les autres, Femmes d’en France » de Gérard Levoyer

Fév 21, 2010 | Aucun commentaire sur « Maria et les autres, Femmes d’en France » de Gérard Levoyer

Lecture de Plume

Maria 1 et Maria 2, françaises issues de l’immigration, font une exhibition d’arts martiaux. Anne, Catherine et Marie forment un public perplexe, s’apprêtant même à les arrêter. Au cours de la discussion, les deux Maria réalisent que les autres ne sont pas de leur siècle  mais tout droit sorties du dix-septième. Elles se demandent si elles ne sont pas en présence de fantômes, lorsqu’un soldat d’époque déboule sur scène et dans leur vie, pourchassant les femmes comme du gibier et ce n’est que le début de l’aventure ! C’est alors qu’elles comprennent que ce sont elles qui remontent le temps. Ce grand retour en arrière est un prétexte audacieux et divertissant à revisiter le cours de l’Histoire, en même temps que leur histoire personnelle, pour en arriver aux croisements de cette pittoresque histoire féminine avec l’histoire même du féminisme. Surgiront des figures hautes en couleurs, tout comme des personnages moins connus mais présentant un intérêt certain pour la thématique si vivement abordée par Gérard Levoyer. Un texte bien ficelé, qui rend compte du passé « d’en France », échappe au didactisme et n’est pas dénué d’une interrogation primordiale sur le présent.

Combats et ritournelles

Dès la première scène (à vrai dire la pièce est en un acte où les scènes s’enchaînent sans seuil pour mieux souligner les similitudes de toutes les périodes), l’entraînement martial décrié symbolise la lutte des femmes, souvent mal perçue par la plupart des hommes comme par certaines femmes, tous bien formatés par leur éducation. Pour cet historique de l’émancipation féminine, l’auteur conçoit un espace approprié. Comment faire circuler en un même lieu les pas des protagonistes se croisant sur des pistes parallèles ? Il emprunte au théâtre élisabéthain son niveau supérieur, qui pouvait être employé comme balcon d’amour ou comme tribune pour un voleur haranguant la foule. Il s’ensuit donc une esthétique du ring. Toute scène possède son tréteau de harangue fougueuse et de représentation des luttes. Tous ces pas, défiant la géographie, se heurtent ou se joignent, parfois en chansons-refrains réels ou créés par l’auteur et reflets des circonstances, ponctuant les interventions. Et le premier public n’est autre que le parterre des jeunes femmes qui participent à ces démonstrations, depuis leur place ou en investissant l’estrade, d’où une convergence amusante ou effrayante, suivant les « chapitres » historiques qui se déroulent sous nos yeux.

Les succulentes fausses notes de Chronos

Si le défi spatial est relevé par la déclinaison du tréteau, qu’en est-il du défi temporel ? Comment conjuguer les diversités événementielles globales et le présent des particuliers ? Maria 1 (du XXIeme siècle) s’écrie à Marie (du XVIIeme siècle) : Mais vous ne pouvez pas être là, on remonte le temps !, ce à quoi l’interlocutrice répond : C’est pas grave, on remonte avec vous. Et puis remonter des pendules, j’ai fait ça chez le marquis de Fontenoy. Avec Gérard Levoyer, cependant, ce n’est pas du tout Big Ben mais plutôt big bang et big bègnes ! On moleste la linéarité de l’Histoire. On passe du chaos oppresseur au KO victorieux, à savoir : du néant, de l’oubli, du mépris de la condition de la femme aux acquis de ses combats. Et on relie toutes les femmes, éloignées par les lois et leur temps, par le procédé de l’anachronisme, ce qui donne, il va sans dire pour notre plus grand plaisir, de succulentes fausses notes, tant dans le lexique que dans la superposition des faits. On pourrait dire que les règles et usages du passé sont mis en défaut (comme, entre autres, la misogynie du Code civil, dans une scène particulièrement cocasse) et que les illustres figures historiques sont examinées sous leur vrai jour, grâce à l’anachronisme que l’auteur utilise comme une loupe qui ne laisse rien passer. Mais l’anachronisme peut aussi être un détour inattendu pour lier l’anecdotique à l’événementiel.  Par exemple Maria 1 va se retrouver, à un moment donné, en très mauvaise posture. On est au XVIIIeme siècle. Elle est sur l’estrade, représentant ici l’échafaud, la tête sur le billot, prête à être exécutée. Comment s’enfuir de cette époque et de ce lieu, tout en restant cohérent et réaliste ? C’ est là l’une des facettes de l’art de l’auteur, qui y parvient avec une gracieuse habileté, qu’on se fera une joie de découvrir.

Le petit bal gagnant

Qui ne se rappelle ce refrain du petit bal perdu ?
« Non je ne me souviens plus
du nom du bal perdu.
Ce dont je me souviens
ce sont ces amoureux
Qui ne regardaient rien autour d’eux… »

Eh bien Gérard Levoyer termine sa pièce par un autre petit bal, que nous pourrions qualifier de gagnant. Les maîtres mots de la conquête des droits féminins sont « ensemble » et « amour », sous les feux de ce petit bal où les couples des deux époques (les femmes du XVIIeme ayant quant à elles réussi à entrevoir les avancées du  XXIeme ) vont se fréquenter et danser. Ce petit bal change la donne. Il politise cette « histoire de filles », sur le ring devenu au final balcon d’amour, et fait de leur émancipation celle de l’homme et de la femme réunis, qui pourraient reprendre en chœur  la devise du théâtre du Globe «  Totus mundus agit histrionem », tant il est vrai que le théâtre de la vie respectueuse peut triompher de la barbarie. La barbarie ? Elle guette toujours, même aujourd’hui. L’auteur nous le démontre par une scène actuelle, scène terrible où les femmes courent encore gravement le péril de l’irrespect de leur sexe. Maria et les autres n’ont pas fini de veiller pour nous tous sur le monde !

Maria et les autres, Femmes d’en France
De Gérard Levoyer

Éditions Les Mandarines
Kergouarech, 56 400 Brec’h

http://lesmandarines.free.fr

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