À l'affiche, Agenda, Critiques // Madame, texte et mise en scène de Rémi De Vos, au Théâtre de l’Œuvre

Madame, texte et mise en scène de Rémi De Vos, au Théâtre de l’Œuvre

Nov 09, 2015 | Commentaires fermés sur Madame, texte et mise en scène de Rémi De Vos, au Théâtre de l’Œuvre

ƒƒƒ article de Denis sanglard

 

©DR

©DR

 

Madame parle cru. Madame parle dru. Madame parle l’argot. Madame a le sens de la formule qui claque et vous cloue. Madame a connu trois guerres. La boucherie de 14/18, la drôle de guerre de 40 et l’occupation, la guerre d’Algérie qu’on nommait alors « les évènements ». Madame a bien connu les hommes. Maitresse de Landru, femme de poilu amputé, fille à mac, tenancière d’un claque. Mauvaise mère, mauvaise fille et mauvaise épouse… Madame en rit et c’est une craie crissant sur un tableau noir. Madame se tait aussi. Confidences trouées de silence, suprême élégance pour masquer la souffrance, celle qu’on garde pour soi et qui régurgite soudain et qu’on ravale avec fierté. « Rien n’est jamais gratuit, tout se paye, je suis bien placé pour le savoir.»

Superbe texte, langue verte et acide. Cet argot là c’est de la poésie qui permet de dire le pire et le cru sans détour mais avec une classe folle, celle de l’aristocratie ouvrière des faubourgs parisiens. Une gouaille de trottin canaille, d’horizontale de claque huppé. Il y a du Céline pour cette description lucide et âpre de la sale boucherie des tranchées de la « der des der ». La drôle de guerre, la collaboration, les petits arrangements, la résistance de dernière heure, les lâchetés de l’épuration de 39/40, ce pourrait être Arletty, ce pourrait être Cécile Sorel (et son fameux « fallait pas les laisser entrer » repris comme un clin d’œil ici, un hommage à ses femmes fières et libres sans compromis ni compromission). Cet argot est un faux-nez, un pied de nez, devant le tragique d’une existence chaotique faite de rencontres, de celles qui bouleversent votre destin, vie assumée crânement, exprimée ainsi avec autant de verve que d’esprit, d’ironie lucide et blessée. C’est une langue d’une liberté folle, absolue, qui ne peut être que la langue de Madame, l’expression de sa liberté canaille, de son affranchissement des conventions et des règles. Rémi de Vos signe ce texte débridé, franc du collier et drôlement tragique où le rire fuse avant de se figer devant l’horreur de ce qui est dénoncé…

Portrait d’une femme d’exception et portrait d’une France pas jolie-jolie. L’envers de la médaille et la droiture d’une femme libre au franc-parler, témoin des bouleversements d’une société hypocrite que le microcosme du bordel où elle officie révèle de façon sensible et violente. Rien n’échappe au regard acéré de Madame, à son ironie mordante, qui traverse et témoigne de l’Histoire d’une France bouleversée par trois guerres. Elle-même ne s’épargne pas.

Madame, c’est Catherine Jacob. Remarquable, bouleversante, drôle dans ce rôle, toujours en demi-teinte, ne forçant jamais le trait. La classe absolue jusque dans les expressions les plus crues, les descriptions les plus scabreuses qu’elle n’appuie jamais mais fait passer, effleure l’air de rien avec un naturel confondant. Elle s’empare de cette langue singulière et forte qu’elle fait sienne, qu’elle épouse et nuance avec des pleins et des déliés. Avec toujours une distance, une ironie cinglante qui semble préserver Madame de toute vulgarité, la protégeant du pire et évitant au texte de n’être qu’un enchaînement d’expressions originales, de bons mots enchaînés, d’un argot de pacotille, artifice littéraire. Ce qu’il n’est pas. On pense aux personnages d’Audiard dont elle est ici l’héritière évidente égarée dans une tragédie personnelle et nationale qui ne s’avoue pas mais dont elle n’est pas la dupe. Personnages qui par leur verve, leur forte personnalité font de cette langue argotique non une anecdote mais une matière vivante et vivace, expressive et marquante. Et quand Madame se tait, que le silence soudain envahit le plateau, c’est tout le non-dit, le poids d’une vie et de souffrance qui s’engouffre dans cette brèche. Et le rire s’étrangle. Catherine Jacob doucement tire ainsi le fil de cette vie, de cette histoire confrontée à l’Histoire, et l’emmène vers une gravité qui soudain vous arrache. Le masque tombe. Avec Catherine Jacob, Madame est une aristocrate de la passe tarifée devenue la mère maquerelle douairière d’un bordel de la haute que souligne cette coiffure, cette choucroute élégante et quelque peu incongrue qui pourrait être ce pouf à la belle-poule propre au dix-huitième et qui fait d’elle une chroniqueuse de son siècle, en bel esprit gouailleur, comme le furent en langage châtié les mesdames de Boigne ou de Campan.

 

Madame
Texte et mise en scène de Rémi De Vos
Décor et son, Othello Vilgard
Lumière, Joël Hourbeigt
Perruque, Cécile Kretschmar
Avec Catherine Jacob

Jusqu’au 20 décembre 2015
Du mardi au vendredi et dimanche à 19h, le samedi à 16h

Théâtre de l’Œuvre
55, rue de Clichy – 75009 Paris
Réservations  01 44 53 88 88 ou 0892 68 36 22
www.theatredeloeuvre.fr

Be Sociable, Share!

comment closed