Critiques // « Macbeth » d’après Shakespeare par Heiner Müller à la Comédie de Saint Etienne

« Macbeth » d’après Shakespeare par Heiner Müller à la Comédie de Saint Etienne

Oct 17, 2010 | Aucun commentaire sur « Macbeth » d’après Shakespeare par Heiner Müller à la Comédie de Saint Etienne

Critique de Bruno Deslot

« Dans le ventre de la tragédie guette la force, un virus qui vient de l’avenir ».

Un plateau couvert de vêtements, trois micros à l’avant de la scène, une façade éphémère parcourue d’échafaudages bâchés… Le ton est donné ; « la fabrique du double » est en marche et Macbeth foule un vaste champ de bataille qu’il ne quittera pas victorieux !

Débarquant sur le plateau entouré de ses hommes en tenue de combat, le général écossais Macbeth, duc de Glamis, revient d’une lutte sans répit pendant laquelle il a défendu la couronne du roi Duncan. Vêtus de treillis, fusil en bandoulière, les hommes sont d’une étonnante contemporanéité et rappellent, à juste titre que l’auteur de ce Macbeth, Heiner Müller, invite à une relecture de la pièce de Shakespeare en fonction de l’actualité politique dans laquelle il (H.Müller) évolue. Des propos qui d’entrée de jeu font résonances avec la notion même de guerre, apatride, plus que jamais et que les comédiens européens avec lesquels travaille Jean-Claude Berutti portent à bout de bras.

Les nombreux vêtements jonchant le sol et assemblés à la manière d’un collage de Max Ernst, incarnent une présence palpable, celle des cadavres que Macbeth a tant foulé. Le sang a coulé sur ce vaste champ de bataille et coulera encore. En attestent les répliques des sorcières qui en sortent de manière presque diabolique : « Ma sœur, d’où vient ce sang sur tes habits. » « J’ai pris mon déjeuner sur le champ de bataille ». A l’inverse de Shakespeare, Müller fait de Macbeth un monstre, sans lui donner le temps d’incarner un peu d’humanisme, c’est un bon chef militaire, il désire, possède et détruit. Difficile, dès lors, d’échapper à un certain lyrisme assez sombre rehaussé par un style d’écriture abrupt et nerveux. Macbeth nous invite à penser avec lui le présent à l’état brut, celui qui se consume dans cette tentative de vouloir faire coïncider la fin du monde avec sa propre disparition. « Monde, si je pouvais être ta tombe… ». Sa relation aussi fusionnelle que duelle avec lady Macbeth, met en relief l’histoire d’un couple, anti-père, anti-mère par excellence, impuissant et ostracisé de l’Histoire, celle qu’ils souhaitent pourtant écrire à la lumière de leurs nombreux crimes qui saignent le monde. Tuer Roi, voisins, amis et enfants des autres pour s’assurer que l’avenir n’appartient à personne… Peu de place pour penser le lendemain ! Et pourtant il faut vaincre, gagner le pouvoir à coups de glaive !

L’Europe réunie sur un plateau dévasté

© Régis Nardoux

Jean-Claude Berutti s’est entouré de comédiens européens avec lesquels il s’approprie une œuvre complexe dans une mise en scène exigeante et une scénographie métonymique. La distribution très cosmopolite (Roumanie, Croatie, Togo…), livre un texte fort avec des accents à peine perceptibles, soulignant avec justesse la dimension universelle du propos et du parti-pris de l’auteur. La direction d’acteurs privilégie le rythme, propre à la pièce, et dont on ne peut faire l’économie pour servir une dramaturgie serrée et rapide. La langue est précise, coupée au couteau, sauvage et incroyablement dense, comme toutes ces exactions que Macbeth commettra avec la complicité de sa femme. Une sorte de légèreté se dégage du plateau, le sang coule, les têtes tombent avec une normalité confondante. Le peuple, rompu à l’exercice de sa destinée, poursuit son ouvrage. Victime mais aussi responsable, il porte à bout de bras le tyran qui les mènera à sa perte. Les corps se dessinent dans l’ombre de l’horreur, s’extirpant d’un royaume en devenir entouré d’échafaudages, où jaillissent des vêtements éparpillés sur le sol. Ici, on tue comme on respire et il est difficile de retenir son souffle. Les sorcières, vêtues comme des poupées de foire, ont fait leurs prédictions portant le cynisme à son comble.

Les costumes observent des déclinaisons qui ne sont pas sans rappeler une certaine dégénérescence vers des périodes troubles comme celle du moyen âge, dès lors que le couple régicide a accompli son dessein. Le roi troque son manteau d’hermine contre une cuirasse, les soldats, leurs treillis contre une armure et le peuple a revêtu l’habit du manant.

Les scènes s’enchaînent de manière un peu mécanique et ne laissent pas assez de place à une tension dramatique qui oscille encore entre farce et tragédie tout au long de la pièce. On sent que les comédiens cherchent la juste ligne de conduite qui les guidera vers le parfait équilibre. Mais tous sont d’une grande justesse, et vont jusqu’au bout de leurs engagements. Cette création ne peut devenir qu’une exception dans le paysage dramatique actuel.

Macbeth
D’après : William Shakespeare
Adaptation : Heiner Müller
Traduction : Jean-Pierre Morel (Ed. de Minuit)
Mise en scène : Jean-Claude Berutti
Avec : Roger Atikpo, Marc Badiou, Louis Bonnet, Larissa Cholomova, Sylvain Delcourt, François Font, Tommy Luminet, Jacek Maka, Adela Minae, Ursa Raukar, Ismaël Tifouche Nieto, Jérôme Veyhl
Scénographie : Rudy Sabounghi
Costumes : Rudy Sabounghi en collaboration avec Ouria Dahmani-Khouhli, assistés d’Irène Bernaud
Lumière : Laurent Castaingt
Son : Fabrice Drevet
Vidéo : Daniel Cerisier
Maquillage : Nathy Polak
Dramaturgie : Yves Bombay
Assistant : Bertrand Perret

Du 15 au 22 octobre puis du 4 au 9 novembre 2010

Théâtre Jean Dasté – Comédie de Saint-Etienne
7 avenue Emile Loubat, 42 000 Saint-Etienne
www.comedie-de-saint-etienne.fr

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