Critiques // « Louise, elle est Folle », un texte inédit de Leslie Kaplan à la Maison de la Poésie

« Louise, elle est Folle », un texte inédit de Leslie Kaplan à la Maison de la Poésie

Mar 04, 2011 | Aucun commentaire sur « Louise, elle est Folle », un texte inédit de Leslie Kaplan à la Maison de la Poésie

Critique de Bruno Deslot

La folie d’une autre !

Louise, elle est folle, deuxième texte théâtral de Leslie Kaplan qui s’inscrit dans le cadre de sa résidence à la Maison de la Poésie au cours des saisons 2010/2011 et 2012 et fait suite à sa précédente création « Duetto 5 – Toute ma vie j’ai été une femme », présentée la saison dernière à la Maison de la Poésie. Entourée de ses fidèles collaboratrices, Frédérique Loliée et Elise Vigier, Leslie Kaplan poursuit  sa réflexion sur les mots, la ville et la folie, en donnant naissance à « Louise, elle est folle ». La folie explorée dans une forme langagière récurrente, proche de l’obsession, qui tente d’atteindre le principe même de réalité. Mais quelle réalité ? Quelle folie ? Celle que l’on enferme ou bien celle que l’on singularise ou banalise pour ne pas à avoir à s’en inquiéter ?

© Béatrice Logeais

Parcourant la coursive de la grande salle de la Maison de la Poésie, passant une porte pour accéder au plateau, Frédérique Loliée et Elise Vigier sont déjà en errance tout comme les mots, lâchés en rafales une heure durant. Sur un sol brut, sous un éclairage sobre, les deux femmes débutent une course folle aux mots, ceux qu’elles s’empruntent, se dérobent, s’approprient, s’arrachent dans un questionnement sans cesse renouvelé ne trouvant ni réponses, ni solutions à leur épopée « philosophique » ! Mais est-ce bien l’objectif de cette parade, de cette folie sémantique qui additionne les propos saugrenus ? Les mots constituent eux-mêmes un personnage incarnant toute la violence des sociétés urbaines, absorbant, par couches successives, les sédimentations d’un terrain sur lequel les glissements sont nombreux.
La folie est bien présente, mais laquelle ? Celle, latente et que l’on tolère en la qualifiant de singulière avec un certain détachement afin de la banaliser, de la rendre ordinaire ou bien celle se situant « en dehors » de la réalité ? Depuis « Duetto 5 – Toute ma vie j’ai été une femme », Leslie Kaplan poursuit son exploration à propos de ce qu’est la femme, ici et maintenant, enrôlée dans une société, celle d’aujourd’hui. Ancrée dans une réalité que les mots font émerger par anaphore ou anticipation. « Louise, elle est folle », mais dans quelle mesure ? Parce que la ville est le lieu de tous les possibles ? Parce qu’elle permet la transgression, l’inattendu…
Des achats compulsifs, une absorption de bières bues à la hâte, une course poursuite parmi la foule hurlante de la ville, une agitation incessante générant une tension quasi palpable et voilà deux femmes en proie à des accusations réciproques, répétées inlassablement, exploitées avec perversion afin de bouter l’autre hors de ses limites. Mais lesquelles ? Celles imposées par le diktat d’une société qui les assignent à des faits, des comportements et des attitudes prévisibles ou bien celles circonscrites par les limites géographiques d’un urbanisme aliénant ? La réalité du propos se situe ailleurs que dans un monde bien ancré dans le présent, un présent charrié par les mots qui mettent à distance l’évidence même d’une société où l’on survit plus que l’on vit. Le langage constitue le trait d’union entre la folie incarnée par la figure de Louise et le principe même de réalité.

© Béatrice Logeais

Dans une scénographie très moderne et sophistiquée, version Warlikowski dans son adaptation d’ »Un Tramway » donnée la saison passée à l’Odéon, les comédiennes sont contenues dans un intérieur à l’image de ces appartements urbains totalement impersonnels et pourtant si tendances. Des panneaux coulissants permettent des ouvertures vers l’extérieur, ou à l’inverse nous permettent de pénétrer l’intérieur de ces femmes dont le quotidien est d’une étonnante banalité. L’eau coule sur une grille d’égout servant de douche ou dans un lavabo dont le siphon est dévissé. La vie est bien présente, elle s’échappe de partout, investit le plateau, la mise en scène mais aussi la mise en images réalisée par une projection vidéo de toute beauté qui accompagne le jeu des comédiennes comme lorsque Frédérique Loliée se retrouve perdue parmi une foule apparaissant sur un écran en fond de scène et donnant l’impression d’une multitude étourdissante. Ou bien, lorsque les vaches défilent en arrière-plan pendant qu’Elise Vigier raconte l’histoire de cet ami, éleveur de vaches, qui un jour se retrouve face à son assiette constatant qu’il s’apprête à manger la cuisse de Berthe, sa vache préférée ! Sur la façade de cette « maison de poupées », plantée au milieu du plateau, des images de grands ensembles sont projetées. La cité, la polis dans toute sa splendeur avec pour paysage sonore un univers urbain facilement identifiable, accompagne le propos avec toujours plus de pertinence. Yves Bernard a réalisé une scénographie remarquable, la situant au plus proche du champ sémantique exploré par l’auteur, entre rêve et hallucination. Le tissu rouge pourpre dont Elise et Frédérique s’entourent la taille, rappelle celui des peintures du Caravage. Que d’élégance !
Depuis « Duetto 5 – Toute ma vie j’ai été une femme », une véritable complicité s’est établie entre Leslie Kaplan et les deux comédiennes du théâtre des Lucioles et dans « Louise, elle est folle », c’est la consécration.

Louise, elle est folle
De : Leslie Kaplan (à paraître, Ed. P.O.L)
Conception et jeu : Frédérique Loliée et Elise Vigier
Lumières : Maryse Gautier
Décor : Yves Bernard
Vidéo : Romain Tanguy
Son : Teddy Degouys

Du 2 au 27 mars 2011

Maison de la Poésie
Passage Molière, 157 rue Saint-martin, 75 003 Paris
www.maisondelapoesieparis.com

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