Critiques // « Los Demonios » de Valérie Boronad au Vingtième Théâtre

« Los Demonios » de Valérie Boronad au Vingtième Théâtre

Mar 06, 2010 | Aucun commentaire sur « Los Demonios » de Valérie Boronad au Vingtième Théâtre

Critique de Bruno Deslot

Une quête identitaire

Samuel, fils de « disparu », remonte le fil du temps afin d’écrire le roman de son père, Luis, engagé dans la guérilla en Argentine durant la dictature.

Entre 1976 et 1983, 30 000 personnes disparaissent en Argentine, laissant à leurs proches, le douloureux souvenir d’une période sombre éclairée par la violence ouverte de la dictature. Les démons s’agitent, s’animent et réveillent la conscience de Samuel qui bascule dans l’incroyable et indéfinissable expérience du rêve, désir refoulé et inconscient d’un passé qui ne passe pas.

Un père, ayant pour mission d’abattre un général, disparaît, laissant une mère amoureuse et un petit garçon qui grandit à l’ombre d’une tendre filiation que la guérilla dérobe et pousse à l’exil. Ana et son fils, un garçon nommé Tango, vivent réfugiés dans un hôtel français, tenu par un argentin. A la mort de sa mère, Samuel, devenu écrivain, s’engage dans une quête identitaire en revenant dans l’hôtel de son enfance. Il interroge son passé familial durant les années de dictature argentine afin d’écrire les chapitres expiatoires d’une histoire intimement liée à sa construction personnelle.

Les rêveries d’un romancier solitaire

Pris en étau par deux écrans sur lesquels sont projetées les images suggérées d’un passé qui oscille entre fantasme et désir inconscient, Samuel noircit les feuilles de l’ouvrage qui participe de sa construction identitaire. Un désir affirmé de comprendre le passé à la lumière du présent en parcourant les lieux de mémoire qui constituent une partie de son histoire familiale, Samuel revient dans l’hôtel de son enfance. Voyage initiatique, quête éperdue ou perdue d’avance, le romancier découvre « l’énigme d’une représentation présente du passé absent » (Paul Ricoeur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli). Ses rêves le guident, tel un fil d’Ariane, ténu mais solide, dans un labyrinthe intérieur dont il doit trouver la sortie.

Dans une telle construction narrative, une dramaturgie plurielle semble se justifier, et les écritures numériques, les vidéos, l’architecture sonore et le scénario olfactif participent à cette aventure du subconscient et de l’inconscient de Samuel. Des moyens techniques très sophistiqués qui évoluent par strates, peinent à esquisser une topographie accidentée, celle des rêves du jeune romancier en quête de son passé familial, et encombrent le plateau tout en altérant le propos. Car Los Demonios ont été conçus comme une double partition, d’une part une oeuvre dramatique originale, d’autre part un roman paru aux éditions Belfond en février 2009. La portée de cette composition musicale est certes double, mais tout comme la scénographie, elle pratique davantage la superposition de deux formes de langage, qu’une réelle dramaturgie originale. L’ensemble manque sévèrement de théâtralité, et les comédiens cherchent la légitimité d’un discours qui fait le grand écart entre théâtre et narration. Toutefois, les parties narratives restituent la splendeur de la langue qui caractérise le roman de Valérie Boronad, offrant des sonorités puissamment lyriques et exigeantes.

Une mise en voix

Dans Los Demonios, le rêve y est appréhendé comme un instrument au service d’un processus dynamique de réalisation de soi. Il n’est pas seulement tourné vers le passé, mais contient les germes d’une métaphore intérieure. Samuel incarne l’épicentre des voix du passé qui le hantent, et non le point de jonction « entre la nécessité du passé et l’urgence du présent » comme l’affirme le metteur en scène, Philippe Boronad. Certes, il est ce médium mais seulement grâce à la mise en place d’une scénographie ambitieuse, encore trop maladroite pour s’inscrire dans une mise en abîme du théâtre.

Enfant, adulte et enfin homme mûr affrontant l’imminence de sa mort, Samuel (Philippe Boronad) s’enlise dans une interprétation confuse de trois personnages, qui même si c’est un rêve, ne trouvent aucune légitimité dans leur manière d’exister. Les apparitions du tenancier de l’hôtel et de la mère, n’ajoutent rien de plus au propos si ce n’est que d’animer un plateau à la modernité assurément volontariste. Les images projetées sur les deux écrans, placés de part et d’autre de la scène, proposent de belles ellipses, comme ces coulées de peintures qui rappellent les larmes que la mère de Samuel essuyaient sur les murs de l’hôtel, mais une fois de plus, quelques glissements de terrain auraient sans doute permis de proposer une topographie accidentée d’un relief érodé par la souffrance du passé.

Los Demonios
Texte et dramaturgie : Valérie Boronad
Mise en scène : Philippe Boronad
Avec : Philippe Boronad, Moana Ferré, Luis Jaime-Cortez
Scénographie : Michel Jacquelin
Création d’images : Murielle Félix
Création musicale : Philippe Lacarrière
Architecture sonore et sampler : Yoann Vignot
Interface multimédia : Charles Sadoul
Direction technique et création lumière : Jean-Yves Perruchon
Régie vidéo : Fabienne Flouzat
Régie son : Marie-Clothilde Chéry
Costumes : Sophie Samarut

Du 5 mars au 25 avril 2010

Vingtième Théâtre
7 rue des Plâtrières, 75020 Paris
www.vingtiemetheatre.com

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.