ƒƒƒ article de Camille Hazard

© Alessandro Carpentieri

Le texte de Lucia Calamaro résonne en poésie pure.

Sur un immense plateau aseptisé, les consciences prennent la parole en un flot ininterrompu ; les actions, les corps disparaissent, au profit de l’insondable et du silence.

« Cet intérieur est surtout un univers intérieur humain, si fouillé, négligé et déformé qu’il ne parvient à exister encore qu’à travers la réinvention de son récit. »
L.C

À travers trois générations de femmes d’une même famille, Lucia Calamaro fouille les rapports conflictuels et sonde tous les rôles impartis dès la naissance : fille – mère – mère de la mère…

Le quotidien de ces personnages, fait de doutes, de douleur, de peurs, de reproches, n’est qu’en fait un minuscule maillon venant s’ajouter à quelque chose qui nous dépasse ; l’Origine du monde, les milliers de générations qui nous ont précédés et qui ont tous joués les mêmes rôles de filles et de mères. En trois tableaux, on suit l’évolution des rapports et des âges.

La mère dépressive n’agit plus, elle n’est que paroles abstraites, silence destructeur… la petite fille grandit, prend sa place dans le monde tout en essayant de comprendre cette filiation ; elle recrée avec sa mère un petit théâtre en prenant la figure de la psychologue. Puis la mère de la mère intervient ; femme énergique, pragmatique, concrète, qui accable sa fille de reproches…

Le récit tient la première place dans ce spectacle, c’est à travers lui que les personnages cherchent à cerner leur propre vie, leurs lambeaux de vie décousue. À travers les mots de ces femmes, ce sont les récits de la Féminité et celui de la Mère nourricière, qui nous sont racontés. La faute originelle, la femme-pêché, l’image inébranlable dans la religion catholique de la Mère Marie au service de tous les autres… Les comportements de ces trois femmes forment un cycle perpétuel tragique : elles évoluent toutes selon les âges, vers un schéma préétabli. La fille troquera son corps de fille pour celui de mère puis de mère de la mère, mère de la mère de la mère… Comme chez Pasolini ou Wajdi Mouawad, le présent des personnages est victime d’une tragédie qui se joue depuis la nuit des temps.

« Nous ne sommes pas unique, nous naissons dans un drame qui dure depuis la nuit des temps »

Lucia Calamaro prend son temps pour délier chaque pensée qu’elle étire le plus profondément possible. La mise en scène minimaliste ne repose que sur la présence d’une machine, à chaque tableau : un frigo, un lave-linge, une cuisinière… accessoires de la divine trinité moderne pour les femmes…

Si le plateau est constamment nu avec « même pas un mur pour se cogner dedans », la lumière elle, joue un rôle primordial ; elle souligne, incruste, révèle, magnifie ce texte dense et poétique. Ces femmes prennent la forme de figures picturales ; face à ce tableau, la metteuse en scène nous guide à travers les courbes, les couleurs, les regards et surtout le silence survolté des visages, exprimés dans les toiles de maîtres…

Daria Deflorian, Federica Santoro, Daniela Piperno, magnifiques comédiennes qui, à la fois transfigurent le quotidien et en même temps, donnent sens et chair aux envolées plus littéraires et plus abstraites.

Lucia Calamaro fait une percée dans notre douleur et réveille les origines qui tambourinent à l’intérieur de notre poitrine. ; l’insondable et l’inexprimable se révèlent à nous…

 
L’Origine del mondo (ritratto di un interno)
L’Origine du monde (portrait d’un intérieur)
Texte et mise en scène Lucia Calamaro
Traduction de l’italien Federica Martucci
Conception lumière Gianni Staropoli
Accessoires Marina Haas
Assistante mise en scène Francesca Blancato
Régie Andréas Berselli
Avec Daria Deflorian, Federica Santoro, Daniela Piperno

Du 20 au 24 octobre 2015
Mardi à 19h30, du mercredi au samedi à 20h00 (durée 3h00)

La Colline – Théâtre National
15 rue de Malte-Brun – 75020 Paris
M° Gambetta
Réservation 01 44 62 52 52
www.colline.fr

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