Paroles d'Auteurs // « L’Orchestre Perdu » de Christophe Huysman

« L’Orchestre Perdu » de Christophe Huysman

Sep 19, 2010 | Aucun commentaire sur « L’Orchestre Perdu » de Christophe Huysman

Lecture d’Anne-Marie Watelet

Le théâtre dans le théâtre ?

Cette pièce, mise en scène par son auteur et Sylvain Decure, a été créée à Mons (Belgique) puis au Festival d’Avignon cette année. Cinq comédiens, dont l’auteur, jouent plusieurs rôles, puis sept autres, issus du Laboratoire mobile des Hommes penchés (créé par Christophe Huysman).

Le texte est structuré selon quatre tableaux. Le lieu scénique est un espace immense dans lequel cinq comédiens doivent répéter. En attendant de commencer, ils échangent des propos à bâtons rompus sur de vagues sujets sans rapport les uns avec les autres, se lancent des questions. Difficile, voire impossible de le résumer, ce texte ne comporte pas d’histoire proprement dite, ni d’action d’ailleurs. Seule la répétition d’une pièce est le prétexte pour faire dialoguer les personnages. La mise en abîme n’est pas un procédé lié à une recherche de vérité sur soi, comme par exemple chez Marivaux : elle a une fonction ici de distanciation.

Les thèmes qui émergent à partir du deuxième tableau, lorsque les personnages se mettent à répéter, « jouant » donc leur rôle de comédien, sont la guerre, et avec elle la perte d’identité, l’angoisse et/ou le désir de mort. Certains, comme le soldat inconnu, revivent torturés par les actes monstrueux (un parricide) que le devoir leur a dictés. Les dialogues alors sont plus cohérents dans les allusions à la souffrance et dans le questionnement sur le sens, sur le mal.

Ce thème, comme ceux que nous allons évoquer, est traité de manière globale, générale : aucune référence, nul décor qui puisse rappeler ou connoter une situation spatio-temporelle. Ainsi, la valeur et la portée du message revêtent une force supérieure. Plus loin, c’est une interrogation lancinante que pose un personnage sur un charnier qu’il vient de découvrir quelque part. Qu’est-il ? Epuration ethnique ? Epuration familiale ? Epuration économique ? Il y eut un enfant mais quoi, qui d’autres ? Tout est suggéré, rien n’est sûr…On n’en saura rien de plus. L’angoisse et la cruauté nous envahissent, mais de façon inattendue. Une chanson poétique, expression d’une douleur profonde et belle, nous anime soudain et élève les dialogues vers une dimension supérieure.

« Mon chemin est perdu, celui de l’avenir. »

On l’aura compris, tout se teinte de pessimisme sur le plateau de ces comédiens. Mais quel est le public hypothétique de cette future pièce ? Rien n’est dit sur cette pièce à venir. Le propos n’est pas là, dans le travail dramaturgique. Plutôt nous dire des choses, les plus graves, et peu importe où et quand (on se voit tout de même dans notre monde contemporain). Pas de mises en garde explicites, pas plus de leçons, mais des situations, des faits, énoncés seulement sans couleurs, sans sentiments, crus et épurés. Aucunes didascalies dans le texte d’ailleurs indiquent gestuelles, expressions dans le visage…

Dans ce registre, apparaît également le thème de l’injustice sociale dans les joutes verbales auxquelles se livrent deux hommes : Jean et Paul. Ils font éclater des scandales politico-financiers avec cynisme, dévoilant les pouvoirs et intérêts personnels de façon concrète (quoique toujours hors contexte socio-historique ce qui renforce la dénonciation en l’amplifiant).

Paul – 27 millions de chômeurs […]
Jean – Qu’est-ce qu’on va foutre, de tout ce monde ici ?
Paul – On paye pour qu’ils se taisent.

Après un début déroutant, où l’on ne peut saisir un sens (dans les deux sens du mot !) ou une intention (et cela tant dans l’écriture elle-même, les signes graphiques que dans le « jeu » scénique des personnages et des rôles qu’ils interprètent), nous sommes ensuite plongés au cœur des problèmes de nos sociétés perverties par un capitalisme financier oublieux des règles démocratiques et des faibles. Christophe Huysman charge les comédiens d’une pièce en gestation et nous fait partager les messages qui, pour être galvaudés, n’en sont pas moins cruciaux. Et son travail personnel de distanciation à tous niveaux donnent à cette pièce une dimension universelle.

Soulignons l’originalité et la  beauté des passages poétiques de l’auteur. Il a fait paraître des poèmes aux Editions Les Presses du Réel qu’il serait bon de redécouvrir.

L’Orchestre Perdu
De Christophe Huysman

Editions Les Solitaires Intempestifs
1 rue Gay-Lussac, 25000 Besançon

www.solitairesintempestifs.com

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