Paroles d'Auteurs // « Loq’ Story » de Philippe Absous

« Loq’ Story » de Philippe Absous

Fév 10, 2010 | Aucun commentaire sur « Loq’ Story » de Philippe Absous

Lecture de Plume

Roger, retraité, Bernadette, bourgeoise, Yvonne, exclue, et Jack, ex soixante huitard se trouvent réunis dans une même salle d’attente pour répondre à une petite annonce. Il s’agit d’une offre d’emploi « vieux ». Étant tous au chômage ou sans occupation, ils sont prêts à exécuter n’importe quel travail dans cette société fictive multi féroce (esclavage, suppression de l’école, misère, suicide, euthanasie… ), issue d’ une « tornade ultra-libérale » et qui sonne l’âge de la retraite à … 95 ans. Pensant ne passer qu’un entretien d’embauche, ils se jaugent, se taquinent, s’envoient des fleurs et se sentent en rivalité. Peu à peu, on les informe qu’ils vont rester là quelques heures, puis qu’ils sont enfermés pour deux jours. Cet enfermement sera le prétexte à viser quelques points critiques de la société actuelle. Ce sera aussi pour chacun d’entre eux, l’occasion de révéler sa vraie nature. A la clef, l’auteur nous donnera quelques pistes pour une humanisation des rapports sociaux.

Un jardin d’anciens

Drôle de garderie pour le troisième et quatrième âges ! En effet, la salle d’attente se transforme vite en loft pour les anciens. Un « Big brother pour les vieux », où chacun doit se présenter à son tour au micro et en une minute. Ceux-ci réalisent petit à petit qu’ils sont filmés. Ils jouent un moment à « deviner qui aura le poste ». Mais la garderie tourne à la prise d’otages. Ils n’ont d’ autre contact que sonore (la voix-off qui somme et assomme) et  superficiel, en la personne de Nobody, le serviteur du réalisateur de cette  « minable émission de télévision ». Ce Monsieur meuble (qui ne vaut « pas plus que le mobilier »), dépourvu de volonté propre, presque désincarné, à l’image de son nom, obéit, en quasi buffet, à leurs désirs de nourriture et de confort, puis se fond dans le décor. Nos quatre personnages essaient bien d’en savoir plus, imaginent de le faire parler, voire même de le torturer pour pouvoir quitter les lieux. L’auteur en passe donc par la caricature : ceux « d’en bas » emploient un langage familier, celle « d’en haut », un langage surfait. Les clichés s’amoncellent, tout autant que les préjugés mutuels. Les proverbes fusent. Les tenues vestimentaires, comme celle de Bernadette « déguisée en scout » prêtent à la dérision. Leurs comportements collent à leur étiquette.  Cependant, malgré les victuailles de luxe et les lits douillets que Nobody leur apporte, malgré ce toit inespéré, ils se méfient rapidement de ce faux Éden. Dans ce jardin paternaliste et micro totalitaire, tous quatre prennent conscience de n’être que « des petits pois cassés », complètement cassés par le système.

Le bouquet !

Philippe Absous propose une écriture de la « compression » pour exprimer ce paradigme de l’étau. Les unités de temps, de lieu et d’action sont volontairement réduites a minima. Ce bouquet ne comporte qu’une salle de passage, une courte nuit, quatre lofteurs, dépourvus du principal, à la recherche d’un maigre emploi, et seulement deux lits. Or, cette concentration va devenir un atout « Nous sommes appelés à vivre dans une grande promiscuité pendant deux jours. Je propose que nous devenions amis… ». Leur défiance et les masques tombent. Sont alors traités, par cette mini société de lofteurs malgré eux, des sujets actuels d’importance dans le pays tout entier, tels que la répression, les discriminations, les médias, la crapulerie des reality-shows, la parité, la place du plaisir dans le couple, la domination, la résistance, la dignité du retraité, la pauvreté, « la cannibalisation par le travail »… Dans ce champ des batailles, nos « petits-pois cassés », encore verts, sont en train d’opérer une résilience.

La fleur du mal

Alors, ce mal de l’étau va produire la jolie fleur de la solidarité combattive. Nos loqueteux dormeurs, s’éveillent en haillons d’argent. La Loq ‘story conte à présent l’écoute, l’attention à l’autre, l’entente générationnelle, le dialogue, le partage, l’amour… avec à l’appui une nouvelle modalité conçue par Bernadette, la bourgeoise, pécuniairement à l’abri, mais à qui il manquait l’essentiel affectif et un certain réalisme, Bernadette qui va apprendre à se connaître. Sa proposition inattendue gagnera l’assentiment de tous. Du reste, à nouvelle modalité, nouveau concept. L’auteur crée le néologisme de « ratoureur », concept à découvrir, qui encadre la pièce, vide de sens au commencement et plein de bon sens à la fin.

Philippe Absous semble nous interpeller avec un humour grinçant, comme pour nous avertir des accidents de l’avenir sous un nez de clown : gare aux fleurs coupées, si un tel système perdure !

Loq’ Story
Big Brother chez les vieux

De Philippe Absous

ABS éditions
Cayrac, 46 230 Lalbenque

www.abseditions.com

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