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L’Opéra de Quat’sous de Bertold Brecht, Mise en scène de Vincent Goethals, Théâtre du Peuple de Bussang

Août 04, 2015 | Commentaires fermés sur L’Opéra de Quat’sous de Bertold Brecht, Mise en scène de Vincent Goethals, Théâtre du Peuple de Bussang

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

© Eric Legrand

© Eric Legrand

Le Théâtre du Peuple de Bussang fête ses 120 ans. L’utopie rêvée de Maurice Pottecher, un théâtre populaire, humaniste et artistique, éducatif, résumé par cette devise « par l’art, pour l’humanité », a résisté au temps. Un idéal exigeant dans ce théâtre de bois tapi au creux de la forêt vosgienne où chaque été résonnent les trompettes qui appellent le public dans cette salle unique et dont le lointain, un rituel immuable, s’ouvrira immanquablement sur la clairière et la montagne qui enclot le théâtre. Un moment magique, et combien attendu, toujours aussi impressionnant. On a beau s’y attendre, l’émotion, le petit coup au plexus, est toujours là. Ce qui fait la particularité du Théâtre du Peuple c’est aussi cette exigence toujours renouvelée entre œuvres du répertoire et créations. Une programmation sans concession, exemplaire, intelligente, qui mêle professionnels et amateurs – comédiens, techniciens et personnels – unis dans un même élan, un même et formidable enthousiasme. Et le public, un vrai public populaire, sans préjugé mesquin, qui, assit sur ces bancs rudes aux fessiers, impatient attend avec la même exigence et un plaisir certain de découvrir chaque année une œuvre nouvelle, de deviner quand les portes du lointain – scène seront ouvertes. Le succès du Théâtre du Peuple aujourd’hui encore tient sans doute à ce lien unique, entre un lieu et son public, entre une utopie et sa concrétisation, ce qui définit le théâtre et sa relation fragile, son inscription au sein d’une communauté, avec ce que l’on appelle la cité. A Bussang ce rituel festif, unique, perdure depuis 120 ans.

Après la Belgique l’an dernier, c’est l’Allemagne qui est l’hôte de Bussang. Vincent Goethals, à la direction du lieu, monte l’Opéra de Quat’ sous de Bertold Brecht et Kurt Weil. Yves Beaunesne, invité, met en scène Intrigue et Amour de Friedrich von Schiller. Nous y reviendrons.

L’opéra de Quat’ sous, ici à Bussang, c’est tout simplement évident. Dans ce lieu symbolique la charge caustique et politique de Brecht résonne violemment avec notre actualité foutraque, notre société livrée à la finance, au libéralisme financier outrageux… Dans les bas-fonds de Soho nulle moralité. L’argent, la corruption, la violence et le sexe règnent, pourrissent les relations, exacerbent les tensions. La misère exploitée devient lucrative. « L’homme est un loup pour l’homme » mais il vit « de l’exploitation de l’homme ». Pièce épique, drôlement foutu on peut le dire, au final invraisemblable même, cet opéra des gueux proche de la farce, de la satire, à l’intrigue mince comme une lame de rasoir, est un réquisitoire implacable. Sous la fable, la mécanique capitaliste est minutieusement décortiquée, dénoncée. Mackie le Surineur est une ordure cynique mais son regard sur la société est d’une lucidité terrifiante. Constat terrible de voir toutes les couches de la société atteintes de la même gangrène, de la même course avide au profit qui exige d’exploiter son prochain sans scrupule aucun.

Vincent Goethals transpose la lune de Soho dans les bas-fonds anglais des années 70, s’inspirant avec intelligence et à-propos d’Orange Mécanique de Kubrick. Une même stylisation futuriste qui exacerbe davantage encore la violence, physique autant que morale. Rend intemporelle et contemporain tout à la fois l’intrigue et son propos. Avec quelques détournements assez cocasses. Ainsi de la sculpture/fauteuil phallique qui dans le film de Kubrick servait dans une scène de viol et de meurtre terrifiant et trône ici au Mariage de Polly et de Mackie. Etrange écho qui renvoie ce mariage à un viol légal… Mais le blanc ou les couleurs pop et criardes des costumes inspirés du « Swinging London » dissimulent mal la crasse morale des personnages. Vincent Goethals s’il cite volontiers Kubrick comme une référence, colle néanmoins au plus près de Brecht et de cette farce cynique et amorale. La mise en scène est alerte, fluide et drôle. Une ligne claire au jeu frontal, direct. Comme une mise à plat de la situation, dépliée comme une carte des bas-fonds de Londres. Sans jamais négliger les arrières plans. Utilisant tout l’espace du théâtre, nous sommes véritablement cernés par la racaille. Les personnages sont des pantins, de tristes marionnettes. Et ils sont formidables les comédiens qui s’emparent de leur rôle avec une générosité et une intelligence remarquable. De leurs personnages ils font des portraits certes caricaturaux, expressionnistes, sans jamais cependant tomber dans l’outrance, mais d’une triste et pitoyable, lamentable humanité. Et quels chanteurs ! La partition pourtant complexe de Kurt Weil est chantée avec une aisance confondante. De vraies voix. On est stupéfait, vraiment. A l’image de Valérie Dablemont dans le rôle de Polly… Sa chanson, la fiancée du pirate, vous donne véritablement la chair de poule… Et quand parfois une fêlure surgit dans ces voix, comme le personnage de Jenny la putain, formidable de complexité et de souffrance tue, c’est toute leur humanité cachée, leur cassure, qui se révèle et l’émotion qui vous empoigne sèchement.

Il faudrait les citer tous. Chacun et collectivement apporte sa pierre à l’édifice. Car ce qui sur le plateau a lieu c’est le travail d’une troupe, une vraie troupe. Amateurs et professionnels – on vous met au défi de les distinguer – donnent une sacrée cohérence à cette mise en scène qui vous emballe, vous retourne sec et vous mène dans Soho par le bout du nez et à coup de pompe dans le derche. Si la première partie semble étale, comme une exposition des maigres enjeux, et tendue, la seconde explose littéralement. Vincent Goethals se permet même de sacrées licences, d’heureuses initiatives. Ainsi la fin voit se transformer cette fable caustique en un conte merveilleux. L’étrange happy-end de cette pièce s’y prête mais Vincent Goethals enfonce le clou. Les portes du fond, ouvertes enfin, mais sur un drame annoncé – la pendaison imminente de Mackie – un cheval et son cavalier font se verser la farce dans le merveilleux des contes. Une anachronie ironique et facétieuse invraisemblable où Vincent Goethals s’amuse visiblement à nous désarçonner. Parce que tout ça, c’est du théâtre ! Et ce qu’il offre, ce que la troupe de Bussang offre, c’est un vrai moment de partage. Hier soir la salle entière, 800 personnes, d’un même élan se levait au salut. Et là on se dit que la culture et le théâtre populaire ne sont ni de vains mots, ni des gros mots.

 

L’opéra de Quat’sous de Bertold Brecht
Texte de Bertold Brecht
Song de Kurt Weil
Mise en scène de Vincent Goethals
Chef d’orchestre Gabriel Mattei
Chorégraphie Arthur Péole
Chef de chant Mélanie Moussay
Scénographie Caroline Ginet
Costumes Dominique Louis
Maquillage Catherine Nicolas
Lumières Philippe Catalano

Avec Frédéric Cherboeuf, Valérie Dablemont, Alain Eloy, Mélanie Moussay, Marc Shapira
Et 12 comédiens amateurs.

Théâtre du Peuple
40 rue du théâtre – 88540 Bussang

1,2,5,6,7,8,9,12,13,14,15,16,19,20,21,22 Août 2015
19h45 en semaine, 15h le dimanche.

Réservation  06 29 61 62 47
www.théâtredupeuple.com
info@theatredupeuple.com

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