Critiques // « Loin d’eux » de Laurent Mauvignier au Théâtre de la Bastille

« Loin d’eux » de Laurent Mauvignier au Théâtre de la Bastille

Juin 09, 2011 | Aucun commentaire sur « Loin d’eux » de Laurent Mauvignier au Théâtre de la Bastille

Critique de Djalila Dechache

A l’affiche en même temps qu’une autre pièce, Planète de Evguéni Grickovets, le collectif Les Possédés présente Loin d’eux de l’auteur Laurent Mauvignier.

Le public s’installe dans la salle du bas du théâtre de la Bastille qui s’est rénové agréablement avec son joli petit bar qui donne sur le parvis.

Ce soir c’est la première représentation de  Loin d‘eux. Au centre de la scène nue, une chaise de cuisine blanche en formica, le comédien est là, présent, faisant les cent pas le long du quatrième mur comme le ferait un visiteur dans une salle d’attente. Il semble inquiet, il fait des mouvements de bras, se désaltère, il regarde la salle, mains jointes. Peu à peu la salle se remplit complètement. C’est stimulant de voir ce public initié, lettré, cultivé, parisien, habitué.
Le comédien se met en condition, s’approche enfin, les voix se fondent dans le silence, la lumière fait son œuvre et il démarre son dialogue intérieur à voix haute.

© Anne Baugé

Cela commence comme un aveu : « C’est pas comme un bijou mais ça se porte aussi, un secret ».
C’est important la première phrase, le premier mot, le premier son donné par le comédien, trouver la tonalité, regarder un point fixe, instaurer un rapport avec le public dès le rituel de la représentation lancé.

Immédiatement on est attiré, happé, à se demander si ce texte choral n’a pas été écrit pour ce comédien là spécialement, sa façon de le porter, de l’assumer, on se dit c’est son histoire et qu’il y a de la nôtre aussi. Le comédien parle tranquillement, comme à des amis, doucement. Le phrasé de l’auteur est impeccablement proche avec des envolées lyriques en forme de vérités. Il est question d’un fils, Luc, un peu taciturne, un peu silencieux, qui après avoir épuisé ses rêves et décollé ses affiches de cinéma du mur de sa chambre, monte un jour à la ville, à Paris. Le père, un ouvrier en usine a bâti sa vie sur la valeur du travail. Il a connu la guerre d’Algérie, pas très causant le père. La mère, un peu effacée, est du même avis que le père. Elle disait que « De toute façon il faudrait qu’un jour il y aille, on ne va pas le garder toute sa vie à la maison, ça non, pas aux frais de la princesse. Quelque chose en lui ne voulait pas grandir. Une chose qui coinçait je ne sais pas où… ».
Tous deux sont des parents avec leurs limites et leur lucidité : « Nous on a jamais su bien dire les choses ».

Dans le titre pourtant tout est dit. On pourrait dire que c’est le conflit de générations qui enferme chacun dans son âge, chacun dans ses croyances et ses certitudes. C’est bien plus fort, bien plus subtil.

© Anne Baugé

Et puis un jour, c’est la déchirure, le temps s’arrête et se fige, le fils est parti, dans sa petite chambre parisienne, il a décidé d’en finir, plus la force de continuer, plus de rêves à vivre. Sa vie suspendue à un bout de phrase écrite avec la rage d’un stylo fatigué sur un post-it dans sa chambre. Sommes-nous destinés à être étranger à nos enfants, à nos parents ? Qu’aurait- il fallu se dire ? Cela aurait-il été suffisant ?
« Il était seul sans qu’on puisse dire que c’était la solitude ».
« J’aurai dû parler dit le père, rompre le silence invisible qui tue, incapable de mesurer ce qu’il vivait en vrai ».
« Dans la foule presque personne ne me voyait »
dit Luc. Inexorablement.

Finalement, l’ultime épreuve des parents, c’est le sacrifice des enfants qui ne peuvent pas vivre ni avec eux ni sans eux. C’est terrible. Et horrible cette perte, ce poids de l’absence de l’enfant parti avant l’heure par sa volonté à lui, contre nature, à contre-courant.

Le texte de Laurent Mauvignier donne l’impression d’avoir été écrit à voix haute et d’un seul jet pour un comédien et plusieurs personnages, bien rendu par la sobre et juste composition de Rodolphe Dana.
C’est pudique et c’est intense par la direction d’acteur et la double mise en scène de David Clavel et Rodolphe Dana donnant à l’unique élément de décor une place de choix, par de simples déplacements qui traduisent toujours quelque chose.

Loin d’Eux
De : Laurent Mauvignier
Par : le Collectif Les Possédés
Mise en scène : David Clavel et Rodolphe Dana
Avec : Rodolphe Dana
Lumières : Valérie Sigward
Régie lumière : Carole Van Bellegem
Régie : Pascal Villmen

Du 6 juin au 1er juillet 2011

Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette, 75011 Paris
www.theatre-bastille.com

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