Critiques // « L’Inattendu » de Fabrice Melquiot aux Déchargeurs

« L’Inattendu » de Fabrice Melquiot aux Déchargeurs

Jan 06, 2011 | Aucun commentaire sur « L’Inattendu » de Fabrice Melquiot aux Déchargeurs

Critique d’Evariste Lago

Un inattendu prévisible

Le deuil

Fabrice Melquiot trace dans ce monologue le chemin de Liane, son unique personnage. Cette femme de la Louisiane du XIXe siècle vit seule depuis que son mari a disparu dans le bayou. Depuis un an, Liane espère que son disparu refera surface et s’accroche à cette idée comme à une liane. Elle refuse donc de porter le deuil. Le noir n’est pas sa couleur, bien qu’elle en broie un peu. Sa foi dans le retour de l’être aimé et l’alcool la maintiennent en vie mais la poussent, un peu plus chaque jour, vers la folie.

© Grégoire Alexandre

Dans sa cabane au bord du fleuve les vivants et les morts rodent, certains laissant des demandes en mariage et d’autres des bouteilles colorées. C’est sûrement son mari qui lui dépose ces flacons. Liane s’en persuade et elle y trouve des messages et des souvenirs. Que le temps était doux lorsqu’elle partageait sa vie avec l’être aimé et qu’ils usaient, enlacés, la trame des hamacs. Liane refuse le présent et s’enferme dans sa cabane et la folie. Les messages embouteillés lui intiment de se marier à nouveau. Avec l’apprenti boucher ! Mais Liane déteste la viande et le sang, son disparu l’aurait-il oublié ? Cela fait maintenant deux ans qu’il est parti. Autour de la cabane les coups de fusil résonnent toujours. La chasse aux noirs par la milice est toujours ouverte. Liane se souvient des mains puissantes et des baisers de son mari couleur d’ébène.
Liane décide de quitter sa cabane et s’enfuit en Afrique sur les traces de son amour perdu. Elle découvre sa belle-famille et les malheurs de l’Afrique. Elle décide de voyager et de prendre en photo le monde. Elle ramènera dans sa cabane des clichés d’enfants afghans malades, de corps irakiens déchiquetés par les bombes, des corps de femmes maltraitées… Partout la mort. En somme, elle ramène avec elle la beauté et la grandeur de l’être humain. Sur le chemin du retour, près de la cabane, un homme « au sourire de boomerang » lui sourit. Un milicien. Son cœur est touché et son deuil terminé. Peut-être.

La renaissance de la poésie

© Grégoire Alexandre

Fabrice Melquiot manie la langue française tel un poète. L’inattendu se pare d’une parole poétique comme on en voit peu chez ses contemporains. On est loin de la fin de la langue et du style français. On pourra regretter d’être dans l’exception française. L’écriture du dramaturge est truffée de zones d’ombres et de codes à déchiffrer. Le travail de Brontis Jodorowsky, metteur en scène, colle parfaitement à l’ambiance de la pièce. Les images sont fortes mais délicates, les actions rythmées comme le texte et faisant sens. La composition d’Eléonor Agritt rassure par sa beauté et sa précision. Le monologue est un pari risqué où les travers du monde théâtral, souvent vaniteux et ostentatoires – il suffit d’observer et d’écouter aux entrées et sorties des spectacles pour s’en persuader – sont évités. Exit les marches théâtrales exagérées, le texte récité et scandé sans âme, le propos qui se veut intelligent mais qui n’est qu’intello. La mise en scène est sobre et efficace, le jeu simple et le texte magnifique. C’est la renaissance d’un style poétique.

L’inattendu
De : Fabrice Melquiot
Mise en scène : Brontis Jodorowsky
Avec : Eléonor Agritt
Compositeur : Edouard Ferlet
Eclairagiste : Rémi Nicolas

Du 04 janvier au 12 février 2011

Théâtre les Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs, 75 001 Paris – Réservations 01 42 36 00 02
www.lesdechargeurs.fr

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