Critiques // « L’Illusion Comique » de Corneille, mise en scène Galin Stoev à la Comédie Française

« L’Illusion Comique » de Corneille, mise en scène Galin Stoev à la Comédie Française

Mar 03, 2010 | Aucun commentaire sur « L’Illusion Comique » de Corneille, mise en scène Galin Stoev à la Comédie Française

Critique de Monique Lancri

Ecrite et jouée pour la première fois en 1635 ou 1636 (soit quelques mois avant Le Cid), la pièce de Corneille est d’une audace stupéfiante, en porte-à-faux par rapport aux us et habitudes de son temps. Ainsi les pères (Pridamant, celui de Clindor, et Géronte, celui d’Isabelle) ne sont-ils guère ici des modèles à imiter. Leur sévérité, justement qualifiée d’« injuste » par Pridamant lui-même, conduit leurs deux enfants à se rebeller et Corneille nous laisse entendre que ces jeunes gens sont dans leur bon droit. Clindor s’est enfui, le voici devenu valet de Matamore et amoureux d’Isabelle. (En fait, il n’est pas plus valet qu’amoureux : ce sera là le coup de théâtre final, degré premier de l’« illusion » que procure la magie du théâtre). Quant à Isabelle, elle est aussi prête à s’enfuir avec Clindor, qu’elle veut pour amant, et refuse d’épouser Adraste, le prétendant que son père s’obstine à choisir pour elle. Cette modernité dans les mœurs n’est d’ailleurs pas loin de franchir toute limite lors d’un subtil plaidoyer pour le libertinage mis dans la bouche de Clindor. Mais la transgression majeure est d’abord ici d’ordre esthétique : la règle des trois unités est joyeusement battue en brèche, ce qui nous vaut un vibrant éloge du théâtre et du métier d’acteur.

Un magicien sans magie

Toute cette histoire se déroule sous les yeux de Pridamant  (donc   sous les nôtres) grâce à la baguette magique d’Alcandre, laquelle fait voir au père éploré ce qu’est devenu le fils qui l’a fui. De concert avec Pridamant, nous assistons à un spectacle que ce dernier (tout comme nous) suppose être la réalité même de la vie de Clindor. Mais ce n’est là qu’un premier niveau de méprise. Le dénouement nous dévoile que nous étions totalement abusés : Clindor est devenu acteur professionnel et nous venons d’assister  au spectacle théâtral dans lequel il joue. Les morts, comme il se doit, se relèvent, et les acteurs comptent leurs gains. Cependant, pour que les fils d’un imbroglio pareil soient, in fine, nettement identifiés, ne convient-il pas d’établir une séparation franche entre les différents domaines où ils se faufilent ? Or la mise en scène a opté pour un parti inverse : tout se mélange ici, et le spectateur s’y perd. Pridamant bien souvent quitte « la grotte » d’où le magicien lui a intimé l’ordre de ne pas sortir et arpente la scène. Cette confusion entre les deux lieux et les deux temporalités « brouille la frontière entre ceux qui agissent et ceux qui regardent » comme dit Jacques Rancière dans Le spectateur émancipé.

Désillusion

Le décor n’est pas fait pour nous aider à y voir clair. Lors de sa création, des critiques l’ont qualifié  de « minimaliste ». Pour cette reprise, c’est l’impression opposée qui prédomine tant le plateau est encombré d’objets inutiles. Que signifie, en fond de scène, cette échelle-escabeau sur laquelle grimpent parfois des acteurs ? Pourquoi tant de chaises ? Et que représente l’espèce de porte-manteau-micro planté dans le mur côté cour ? Si certains ont même trouvé ce décor « laid », disons que sa « laideur » prend place dans le courant dit de « l’arte povera » : pourquoi pas ? Mais n’est-ce pas faire un contre-sens sur une pièce qui exige couleurs, fantaisie et poésie ? Certes, chaque metteur en scène est libre du choix de ses partis-pris, quand bien même ceux-ci (ici, ceux de Galin Stoev) vont à l’encontre de ce qui est attendu. Encore faut-il que ses intentions se laissent déchiffrer. Or ce n’est guère ici le cas. Un exemple. Dans une scène du début, les protagonistes jouent leur rôle au premier plan pendant que derrière eux, les deux vitres embuées de la fenêtre d’une sorte de cabane sont peu à peu nettoyées, donc éclaircies : au point que leur opacité première fait place à la plus totale transparence. Chaque spectateur y perçoit un signe. Mais signe de quoi ? Est-ce une métaphore pour la progression d’une mise en scène chargée d’élucider la signification de la pièce ? Mais rien ne viendra plus l’étayer. Autre énigme : pourquoi avoir fait de Lyse un clone d’Isabelle, sa maîtresse ? Même robe rouge, mêmes socquettes et chaussures ridicules. Certes, ce sont des femmes (les seules d’une pièce où les mères sont curieusement absentes) et ce sont des amoureuses. Cela mis à part, elles ne se ressemblent pas plus que Clindor ne ressemble à Adraste (le prétendant officiel d’Isabelle), par exemple.

Des acteurs inégaux

Alain Lenglet, qui joue Pridamant, donne souvent l’impression de s’ennuyer sur scène : pas très convaincant parce que peu convaincu ? Son jeu frise même parfois le ridicule, ainsi quand il retrousse son pull-over pour se couvrir la tête en apprenant la mort de son fils.

A l’inverse, Denis Podalydès nous réveille dans toutes les scènes où il est présent, jouant un Matamore tout à fait pertinent. J’ai gardé pour la fin une actrice qui illumine la scène: Suliane Brahim, (Isabelle). Sa gestuelle, ses mimiques, sa vivacité, sa grâce sont époustouflantes.

L’Illusion Comique
De : Pierre Corneille
Mise en scène : Galin Stoev
Scénographie et costumes : Saskia Louwaard et Katrijn Baeten
Lumières : Bruno Marsol
Musique originale : Sacha Carlson
Environnement sonore : Daniel Léon
Assistante à la mise en scène : Josepha Micard
Avec : Alain Lenglet, Denis Podalydes, Julie Sicard, Loïc Corbery, Hervé Pierre, Adrien Gamba-Gontard, Suliane Brahim

Du 2 mars au 13 mai 2010

Comédie Française
Place Colette, 75001 Paris
www.comedie-française.fr

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