Critiques // « L’île des esclaves » de Marivaux au Lucernaire

« L’île des esclaves » de Marivaux au Lucernaire

Juin 17, 2011 | Aucun commentaire sur « L’île des esclaves » de Marivaux au Lucernaire

Critique de Bettina Jacquemin

Jusqu’à nous

Le comédien et metteur en scène Christian Huitorel présente « L’île des esclaves » sur la scène du Lucernaire. Un appel burlesque à la raison qui peine un peu à venir jusqu’à nous.

Iphicrate et Euphrosine, accompagnés de leurs serviteurs, Arlequin et Cléanthis échouent sur une île peuplée d’esclaves. Ici, les maîtres deviennent les valets et les serviteurs prennent la place de leurs maîtres. Trivelin, le gouverneur de l’île s’attache à faire appliquer la coutume afin de dénoncer l’humiliant comportement de ceux qui dominent. « Nous ne nous vengeons plus de vous, nous vous corrigeons », précise-t-il aux deux maîtres. Chacun endosse alors le rôle de l’autre…

De justes intentions

La pièce écrite par Marivaux et représentée pour la première fois en 1725 dévoile peu d’indices permettant de situer l’époque et le lieu du naufrage. L’auteur instaure le doute. Il mêle en effet allusions au XVIIIe siècle et références à la Grèce antique (les personnages sont des révoltés d’Athènes).
La mise en scène proposée par Christian Huitorel respecte les intentions de l’écrivain. Le décor est épuré (il « intéresse peu » Marivaux), quelques pneus sont dispersés sur la scène et les comédiens revêtent un costume blanc ou une chemise à carreaux. Aucun détail ne place l’action dans une temporalité précise. De quoi laisser place à l’imagination et ancrer les personnages dans un réel déterminé par le spectateur.

Marivaux « cherche des solutions… qu’il entrevoit dans la quête du bonheur… commune à tous les hommes… de tous les temps » précise le metteur en scène. « En cela réside l’actualité formidable de la pièce », un juste coup d’œil associé à une réflexion sociale établie par Marivaux, une mise en bouche alléchante.

Le malin plaisir

Sagesse et (re)sentiments, tout est là. Dans cette farce morale, les maîtres prennent conscience de leurs abus, les serviteurs pardonnent et Marivaux « corrige » prônant « le cœur bon, la vertu et la raison ». L’auteur reproche l’existence frivole des mondains par un portrait sans complaisance de la coquette maîtresse. Il dénonce la suffisance d’un Iphicrate s’adressant à son valet par un simple « Hé ». Il dépeint une servante, bavarde dont les monologues piquants à l’encontre de sa maîtresse ne se terminent jamais.

On retrouve dans le jeu de Mathias Casartelli (le maître Iphicrate) et celui de Nathalie Veneau (la suivante Cléanthis), le caractère initial de leur personnage respectif. Pourtant, l’outrecuidance du maître ne tarde pas à devenir une exaspération constante et, le bavardage continu de la servante n’est bientôt plus que monologue ennuyeux. Que peut-il bien se passer sur scène pour qu’une généreuse intention de départ provoque au final un sentiment d’incompréhension puis d’ennui ? La vanité de l’un doit-elle être caractériser par un jeu d’irritation continu de la part du comédien ? De même, le bagou de la servante doit-il manquer de nuances ? Dommage que quelques longueurs s’affichent dans une pièce aussi courte (1H) d’autant plus que le comédien Cédrick Lanoë tire, quant à lui son épingle du jeu. Il propose, en effet une interprétation d’Arlequin moins innocente qu’à l’initial et transmet enfin un « malin plaisir ».

L’Île des Esclaves
De : Marivaux
Mise en scène : Christian Huitorel
Avec : Mathias Casartelli, Caroline Frossard, Christian Huitorel, Cédrick Lanoë, Nathalie Veneau
Lumières : Noëlle Burr

Du 8 juin au 9 octobre 2011

Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champs, 75006 Paris
www.lucernaire.fr

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