Critique de Denis Sanglard –
Femme invisible
La compagnie des 26 000 couverts, bien connue des amateurs du grand n’importe quoi élevé au rang de chef d’œuvre, sont au Théâtre Sylvia Montfort. Et ça dépote grave ! Cette fois-ci c’est au music-hall qu’elle s’attaque. Rêvant d’un music-hall idéal, elle passe en revue et au laminoir les numéros standards qui firent et font encore la gloire des cabarets. Ce n’est pas dans le plus grand cabaret du monde mais dans un ancien dancing de toiles et de planches, endroit parfait et dont les rideaux de scène jamais correctement tirés nous laissent apercevoir les coulisses et l’inavouable, que nos compères sévissent joyeusement et très sérieusement.
© Claire Lacroix
Parce que le n’importe quoi, le dézingage en règle, ça se travaille. C’est si sérieux que de temps à autres nous les voyons réfléchir et œuvrer en amont de leurs numéros. Et la cuisine interne sent le brulé. Prises de tête et prises de bec pour des résultats désolants et complètement hilarants. Ainsi cette comédienne qui tente un numéro de femme invisible et au vu du résultat pitoyable annonce benoîtement à son metteur en scène sceptique que de toute façon elle a dix jours pour devenir invisible… Philippe Nicolle, le metteur en scène, semble de plus dépassé par les événements qu’il ne maîtrise bientôt plus. D’ailleurs à la question de savoir ce qu’est l’idéal, nul ne semble pouvoir répondre. Quand au « cabaret idéal », là c’est une autre paire de manches et les solutions proposées (« Ce serait un spectacle complètement rock sans aucune psychologie », « Je serai un thon et nous serions dans la mer ». Sic et resic.) augure mal de la suite.
Cow-boys et flûtes à bec
S’enchaînent donc, sans réel lien entre eux, des numéros improbables et complètement loufoques. Ratés ou ridicules le plus souvent, parfaitement incongrus, nuls et même virtuels. Reprenant les principes du music-hall mêlant sketch, chant, danse et grands numéros, c’est une salade russe burlesque en pleine débandade qui nous est offerte. C’est complètement déjanté avec des trouvailles irrésistibles de drôlerie et de non-sens. Entre numéro de trapèze sans trapèze, ou de chien savant sans chien puisque mort la veille, cow-boys joueurs de flûte à bec, jonglage de seins, chœur et ballet de carton, humoriste économique, trio de scies musicales et tronçonneuse, marionnette pratiquant la délation, dompteur de tente Quechua… Le tout à l’avenant. La liste est fort longue. Et quand ça marche, parfois, on attend la chute, au cas où.
© Anouk Vadot
Mais les propositions sont tellement farfelues, surréalistes, que même réussies le fou rire nous prend. C’est bien souvent interrompu par des réclamations venant de la salle. Car une des réussites de ce cabaret c’est la proximité avec le public. Les comédiens, quand ils ne sont pas sur le plateau, sont souvent parmi les spectateurs et n’hésitent pas à interrompre leurs confrères en plein effort. A nous solliciter aussi pour des réclamations, à nous prendre pour témoins de leurs querelles internes. Et le vol d’un micro nous vaut un numéro incroyable de course-poursuite sonore…
Branquignols
Ils savent tout faire ces drôles. Musiciens, chanteurs, mimes, acrobates, comédiens, qui excellent avec doigté dans l’a-peu près. Ils sont les dignes héritiers des Branquignols, de Tati, des Barios, des Marx Brother et des Monty Python. Le cabaret semble les délivrer d’une contrainte formelle. Ils ont une formidable liberté de ton, plus proche en cela du théâtre de rue dont ils sont issus. C’est trash, politiquement incorrect, corrosif, poétique aussi. C’est un antidote à la grisaille ambiante. Car mine de rien ces clowns sont très sérieux et leur irrévérence n’est pas dénuée de réflexion. Pour preuve, Philippe Nicolle, le metteur en scène, citant un grand philosophe contemporain, Kermit du Muppet-show : « Finalement, que peut-il nous arriver de vraiment grave, à part mourir ? ». Le public hurle de rire oubliant l’inconfort des sièges, leur désespoir coccygiens et les trois heures que durent ce ratage orchestré de main de maître. Le final lui-même, un vrai show digne du Broadway off-off-off-off, restera dans les mémoires de beaucoup.
L’idéal Club
De et par : la Compagnie 26 000 couverts
Mise en scène et direction de l’écriture : Philippe Nicolle
Assistante à la mise en scène : Sarah Douhaire
Avec : Kamel Abdessadok, Christophe Arnulf, Sébastien Bacquias, Servane Deschamps, Pierre Dumur, Aymeric Descharrières, Olivier Dureuil, Florence Nicolle, Philippe Nicolle, Daniel Scalliet
Régie générale : Anthony Dascola
Décors : Michel Mugnier avec le soutien d’Alexandre Diaz et de Noèmie Sauve
Costumes : Laurence Rossignol et Sophie Deck avec le soutien de Camille Perreau
Lumières : Thomas Parizet
Son : Anthony Descola
Plateau : Louise VayssiéDu 1er décembre 2010 au 9 janvier 2011
Prolongations jusqu’au 15 janvier 2011Théâtre Sylvia Montfort
106 rue Brancion, 75 015 Paris – Réservations 01 56 08 33 88
www.lemonfort.fr