À l'affiche, Critiques // L’Hôtel du Libre-Echange de Georges Feydeau, mise en scène d’Isabelle Nanty, à la Comédie-Française

L’Hôtel du Libre-Echange de Georges Feydeau, mise en scène d’Isabelle Nanty, à la Comédie-Française

Mai 24, 2017 | Commentaires fermés sur L’Hôtel du Libre-Echange de Georges Feydeau, mise en scène d’Isabelle Nanty, à la Comédie-Française

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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Epatant ! Et superbement drôle… De voir des comédiens, une troupe, au diapason, complice, s’amuser comme des sales gosses sur un plateau. L’Hôtel du Libre-Echange, vaudeville de Feydeau, entre au répertoire de la Comédie-Française, Isabelle Nanty à la mise en scène. Et ça dépote !

Pinglet, las de son irascible épouse Angélique, jette son dévolu sur la femme de son associé et ami Paillardin, Marcelle, tout aussi lasse de son pantouflard de mari. Il lui donne rendez-vous au 220 rue de Provence, dans cet hôtel borgne, du Libre-Echange, tenu par Boulot et Bastien. Oui mais ce même soir débarque pour une sombre histoire de chambre hantée le mari de madame, expert patenté, et monsieur Mathieu et ses quatre filles, ami de Paillardin. Ajoutons l’arrivée de Victoire, la bonne du couple Pinglet, et de Maxime, neveu de Paillardin. Situations explosives, rencontres impromptues, quiproquos et péripéties, la mécanique de Feydeau, parfaitement huilée, s’emballe et atteint des sommets vertigineux dans le vaudeville. Farce peut-être mais comédie sociale d’une grande cruauté, un regard impitoyable sur nos veuleries et mensonges, nos travers pitoyables. Et surtout une vision du couple d’une amertume et d’un cynisme que le rire irrépressible désamorce à peine.

Isabelle Nanty signe là un petit bijou de mise en scène. Une mécanique de haute précision. Sans rien désamorcer de la charge au vitriol de Feydeau sur le couple mais en fouillant les personnages, leur donnant une sacré épaisseur, évitant de n’en faire que des pantins vides pris dans une mécanique qui les dépasse, devenue incontrôlable. Dépassés, ils le sont mais Isabelle Nanty n’hésite pas à enrayer cette mécanique infernale, dont elle se joue avec bonheur et subtilité, pour donner à chacun le temps de prendre son souffle et d’offrir une certaine humanité, dans ces courts instants où tout semble en suspens, même dans la veulerie la plus basse. Optant pour leur part d’enfance, dit-elle, mais sans rien adoucir de leurs angles, sans désamorcer les situations explosives, bien au contraire, elle permet à chacun d’entre eux d’évoluer cahin-caha, par soubresauts, au fil des actes qui les voient se déployer, s’enferrer, exploser avant de se dégonfler pitoyablement. Oui ce sont de sales gosses, parfois grossiers, souvent salement misogynes, stupides le plus souvent, égoïstes et lâches, mais bien vite dépassés, incapable de maîtriser les situations qu’ils ont eux-mêmes provoqué. On ne joue pas avec des allumettes impunément. Il y a de la gravité dans ce Feydeau-là, qu’Isabelle Nanty débusque en chacun. De la cruauté aussi, les dialogues sont parfois terribles voire même violents. Et les situations, aussi folles soient-elles, révèlent brutalement les personnages par cet état permanent d’urgence devenu par leur soin, ou ceux des autres, incontrôlable. Et c’est bien cette urgence, la panique parfois, que l’on ressent dans cette mise en scène énergique, ô combien, et survoltée. Un emballement irrépressible, que rien ne semble pouvoir arrêter, qu’expriment aussi les corps, véritable chorégraphie, en demande, en désir, en manque surtout, frustrés, avant de s’effondrer devant les situations enchevêtrées, les quiproquos saugrenus et diaboliques. Et que tombent les masques. Les portes claquent, les répliques fusent sans coup férir et les corps frémissent, (se) trahissent. Isabelle Nanty joue de ses contradictions, entre les élans, les impulsions des personnages, conscientes ou non, et leurs formidables échecs mais sans jamais grossir le trait, allant au-delà de la caricature, offrant à ces personnages pathétiques dans leurs frustrations, leurs désirs inassouvis une part, même petite, d’humanité. On rit beaucoup et parfois jaune. Les comédiens du Français, décidemment en pleine forme, se prêtent au jeu avec une évidente et commune jubilation. Une belle et forte complicité qui éclate sur le plateau et emporte la salle avec elle, ébahie et hilare de ce crescendo dans l’absurde et le mensonge. Une salle comme au guignol au vu de la scénographie de Christian Lacroix, sa toute première, qui met à nu l’espace complexe de Feydeau nécessaire à sa mécanique toute horlogère, à la circulation des corps, l’ouvre même au second acte sur l’extérieur, sur Paris, fausse image d’Epinal tant le Paris des amoureux n’est certes pas celui de Feydeau, anticipe les entrées et les sorties, donnant au spectateur un temps d’avance sur l’action à venir, anticipant la catastrophe et provoquant de fait l’hilarité. Christian Lacroix supprime le mauvais goût de ce siècle finissant pour un « misérabilisme nabis » et dans ce misérabilisme, ces teintes passées et ce faux chic des bordels, ce sont bien les faux-semblants, l’envers du décor bourgeois qui est dévoilé comme on déchire un rideau d’un coup sec. Dieu que la chair est triste mais relisons tout Feydeau.

 

L’Hôtel du Libre-Echange de Georges Feydeau
Mise en scène Isabelle Nanty
Scénographie et costumes Christian Lacroix
Lumières Laurent Béal
Arrangements musicaux Vincent Leterme
Travail chorégraphique Xavier Legrand
Assistanat à la mise en scène Stéphanie Leclerq
Assistanat à la scénographie Philippe Ordinaire

Avec Thierry Hancisse (en alternance), Anne Kessler, Bruno Raffaelli, Alain Lenglet, Florence Viala, Jérôme Pouly, Michel Vuillermoz, Bakary Sangaré, Christian Hecq (en alternance), Laurent Lafitte, Rebbecca Marder, Pauline Clément, Julien Frison
Et les comédiens de l’Académie de la Comédie-Française, Marina Cappe, Tristan Cottin, Ji Su Jeong, Amaranta Kun, Pierre Ostoya Magnin, Axel Mandron

Du 20 mai au 25 juillet 2017

Comédie-Française
Salle Richelieu
Place Colette
75001 Paris
Réservations 01 44 52 15 15
www.comedie-francaise.fr

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