© Guy Delahaye
ƒ article de Denis Sanglard
Août 1914 Jean Martin, l’instituteur d’un village auvergnat, part à la guerre. Il quitte son épouse Elise, enceinte, et ses deux enfants Camille et Arthur. Une longue correspondance va désormais les relier l’un à l’autre. Récit quotidien d’un homme parti la fleur au fusil bientôt confronté à l’horreur. Une longue descente aux enfers. La camaraderie, la fraternité, les tranchées, la vermine, la folie. La morgue et l’incompétence, la lâcheté des hauts-gradés. Les mutineries. Les blessures. La mort. Mais également à l’arrière, restées au village, l’émancipation de ces femmes qui prennent désormais leur destin en main. Elise devient institutrice, travaille aux champs, élève ses trois enfants. L’injustice là aussi. Et l’incompréhension douloureuse de ces hommes meurtris et pour quelques jours en permission devant cette liberté nouvellement acquise par leurs compagnes. C’est un témoignage de la grande guerre où l’intime se fracasse contre l’Histoire. Les deux indissociables. C’est un regard porté non sur les faits historiques, glorieux ou minables, mais sur ce quotidien d’individus confrontés soudain aux épreuves d’une guerre qui les bouleverse et renverse ces valeurs qu’ils pensaient inaliénables. C’est, au prix du sang, la fin d’un monde et la promesse d’un autre. Jean-François Viot ne fait pas acte d’historien mais d’écrivain. La grande Histoire est bien là mais ce n’est pas elle le sujet. Ce sont les conséquences. C’est la transformation douloureuse de ces êtres perdus et leur résilience. L’histoire d’un pur amour aussi qui tente de résister à l’absence avant d’être broyé dans le fond d’une tranchée boueuse. Yves Beaunesne signe une mise en scène sobre, une ligne claire, grave et légère tout à la fois et sans pathos inutile. Cette relation épistolaire amène évidemment d’emblée une heureuse distance, désincarne volontairement et pour un temps seulement les personnages. Pas de reconstitution historique, plateau nu, pas d’accessoires, mais une lecture habitée. Une volonté didactique aussi quand le narrateur dessine les forces engagées dans ce conflit, y revient au fur et à mesure de l’évolution des alliances et des avancées des armées en présence. Et bientôt il suffira d’enfiler une capote militaire comme un signe pour que le personnage apparaisse et que la théâtralité l’emporte. Seulement voilà on peine quelque peu à rentrer dans cette histoire. Le narrateur plongé dans ce récit qu’il découvre, par un artifice usé, au milieux d’autres récits, reste un peu trop longtemps le nez plongé dans son ouvrage, en mode lecture mezzo-voce, malgré la voix d’Elise qui nous parvient au loin. Ce parti-pris, cet entre-deux balbutiant entre récit et théâtre, et cette volonté initiale didactique fait comme un étrange obstacle, une contrainte entre le public et le plateau, freine ce récit, finit par menacer de lasser très vite. Quand insensiblement le narrateur devient personnage, et qu’Elise enfin apparaît derrière cette verrière qui les séparera tout le long de ce récit, sauf une fois lorsque la porte un court instant s’ouvre pour une brève étreinte avant de se fermer définitivement et clore tragiquement leur histoire, alors seulement rencontre-t-on Jean-Martin et l’accompagne-t-on au front. Encore cela demande-t-il un sursaut, l’attention initiale étant presque perdue… Et pourquoi cet hologramme ectoplasmique d’Elise au commencement qui n’apporte à vrai dire rien au regard de la belle et sensible présence ainsi retardée de Lou Chauvain dans le rôle d’Elise ? Elie Triffault, le narrateur lentement happé par l’instituteur Jean Martin, incarne avec un talent certain et belle énergie son personnage et sa chute. Et cette incarnation qui tardait à venir, que l’on attendait non sans impatience, sauve cette création menacée par l’ennui malgré un sujet qui interroge l’humain pris dans la tourmente d’un conflit et sa capacité à la résilience, à la résistance.
Lettre à Elise de Jean-François Viot
Mise en scène d’Yves Beaunesne
Avec Lou Chauvain et Elie Triffault
Dramaturgie Marion Bernède
Scénographie et vidéo Damien Caille-Perret
Lumières Baptiste Bussy
Création musicale Camille Rocailleux
Création costumes, maquillage et coifures Catherine Bénard
Assistanat à la mise en scène Pauline Buffet
Du 23 mars au 14 avril 2018
Les lundis, mercredis, vendredis à 20h30
Les jeudis et samedis à 19h, les dimanches à 17h
Théâtre de l’Atalante
10 place Charles Dullin
75018 Paris
réservations 01 46 06 11 90
latalante.resa@gmail.com
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