Critiques // Critique • « Les Vagues » de Virginia Woolf par Marie-Christine Soma au Théâtre de la Colline

Critique • « Les Vagues » de Virginia Woolf par Marie-Christine Soma au Théâtre de la Colline

Sep 20, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « Les Vagues » de Virginia Woolf par Marie-Christine Soma au Théâtre de la Colline

Critique d’Anne-Marie Watelet

Les Vagues : roman paru en 1931, pièce maîtresse dans l’œuvre de l’écrivain anglais Virginia Woolf, et cependant moins connu que Orlando ou Mrs Dalloway. Ici, le regard de l’auteur qui a atteint la cinquantaine s’est encore aiguisé.

Et si beau qu’il soit, ce texte à l’écriture travaillée et claire, ne s’offre pourtant pas aux premiers venus, il faut bien le dire !
Justement, pour l’adapter à la scène (d’abord à Vitry en 2010), Marie-Christine Soma a dû s’immerger dans l’écriture et l’univers woolfien, cela se voit rapidement. Et cependant, difficile de le transposer au théatre. En effet, la fiction en est absente, les personnages n’entretiennent pas de liens « romanesques » entre eux, et si l’on parle de drame, on le qualifiera alors de métaphysique en même temps que de poétique.

© Élisabeth Carecchio

Une pièce à six voix, six jeunes amis: Suzanne, Rhoda, Jinny, Bernard, Louis et Neville. Ils abordent leur destin dans des monologues tantôt méditatifs, tantôt lyriques, mais si leurs paroles se croisent, eux ne se rencontrent pas, leur communication est intérieure. De leur jeunesse jusqu’au crépuscule de leur vie, ils évoquent des souvenirs, des moments nourris de sensations précises, des interrogations sur le temps qui passe et le sens des choses.

« Nous sommes emportés par le flot des choses (…) La vie vient, la vie repart ».

A travers ses personnages, l’auteur poursuit avec un regard perçant les courants de conscience, comme les remous des vagues et les frémissements infinis que donnent à voir les lois de la nature. Rien ne dure ni ne demeure, à l’image des phallènes se brûlant à la lumière d’une lampe. Même l’instant plein et absolu ne peut être, autrement que fugitif. Ainsi, comment connaitre une chose? Qui suis-je, puisque nommer la chose suffit à l’altérer? Pour V. Woolf, cette recherche de l’être n’oblige pas à s’exclure du monde, même un moment (elle n’est pas cartésienne !) au contraire, c’est le choc des sensations qui éveille l’inconscient.
Alors les paroles des personnages se font l’echo interieur de cette exploration; la construction des phrases mime le flux et le reflux des vagues, métaphore obsédante (depuis toujours, l’image de l’eau hante V. Woolf) des cycles de la vie en général, de l’éternel recommencement dans l’univers.
Un sentiment tragique se dégage des voix et des rythmes indifférentiées, des visages lisses, tendus vers – la lumière? L’obscurité? dans un jeu presque toujours frontal. Au-delà de ce sentiment perçu par nous, des mots, des images expriment leur extase ressentie un jour, à la vue d’un pétale qui vibre, d’un reflet qui palpite dans la chambre, d’un vol d’hirondelles poursuivant leur nécessaire et fatal voyage.

© Élisabeth Carecchio

Un procédé de mise en scène qui évite en partie la monotonie du jeu théatral – inéluctable si l’on considère le parti pris de M. C. Soma d’être fidèle à la vision de l’auteur.

Au milieu de la pièce, elle superpose aux premiers comédiens six acteurs plus âgés, et ainsi donne un sang neuf au jeu, peut créer enfin des variations dans le rythme des phrasés et dans la voix des jeunes comédiens. Car les voilà en train de dialoguer avec, cette fois, leur moi transformé par les années, et physiquement présent. En outre, le spectacle de la candeur fragile de ces jeunes gens – belles promesses pour le théatre – contraste efficacement avec l’aisance et la voix posée, grave et forte des comédiens expérimentés – et talentueux !

Le scénographe Matthieu Lorry restitue fort bien l’univers naturaliste et onirique cher à la poétesse anglaise: images-vidéo de végétaux évanescents, irrisés et découpés au hasard de la lumière, de l’air qui semble suspendu. Une subtilité et un raffinement qui rappelle vaguement les pages enivrantes dans A Rebours de Huysmans. Effet de transparence floue et liquide grâce à un panneau voilé délimitant (à peine) la profondeur de champ derrière les comédiens. Aucun objet ne distrait de la méditation poétique, si ce n’est une grande table blanche, provisoire. Ce »tableau » animé est complété par des sonorités musicales tantôt sourdes et lointaines (percussions), tantôt gaies, issues du jazz.

Virginia Woolf sceptique? Pas tant que les philosophes grecs ! « On ne se baigne jamais dans la même eau » disait Héraclite. Car dans ce « drame mental », tout ce qui résiste à la permanence, même relative, (et donc à la connaissance), pénètre et reste au fond de notre inconscient, puis ressurgit à un certain moment.

Les efforts d’attention durant les 3 heures de spectacle valent la peine…

Les Vagues
De : Virginia Woolf
Adaptation et mise en scène : Marie-Christine Soma
Traduction : Marguerite Yourcenar
Avec : Marion Barché, Anne Baudoux, Valentine Carette, Frédérique Duchêne, Laure Gunther, Jany Gastaldi, Jean-Charles Clichet, Jean-Damien Barbin, Antoine Cahan, Jean-Paul Delore, Alexandre Pallu, François Clavier
Scénographie : Matthieu Lorry-Dupuy
Lumière : Anne Vaglio et Marie-Christine Soma
Vidéo : Raymonde Couvreu
Costumes : Sabine Siegwalt
Musique : Alexandre Meyer
Assistante à la mise en scène : Marie Brillant

Du 14 septembre au 15 octobre 2011
Du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h

Théatre national de la Colline
15 rue Malte-Brun, Paris 20eme
Métro Gambetta – Réservations 01 44 62 52 52
www.colline.fr

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