Critiques // « Les Suppliantes », tragédie grecque d’après Eschyle, par Olivier Py à l’Odéon

« Les Suppliantes », tragédie grecque d’après Eschyle, par Olivier Py à l’Odéon

Fév 25, 2010 | Aucun commentaire sur « Les Suppliantes », tragédie grecque d’après Eschyle, par Olivier Py à l’Odéon

Critique de Bruno Deslot

© element-s

Demande d’asile

Les Danaïdes fuient la Libye afin d’échapper à un mariage forcé. Accompagnées de leur père, Danaos, elles demandent asile au roi d’Argos.
Devant épouser les fils d’Egyptos, les Danaïdes quittent le pays et abordent au pays d’Argos, berceau de leur race, demandant l’hospitalité et la protection au roi du pays, qu’Eschyle nomme Pélasge. Mireille Herbstmeyer fait entrer un groupe de femmes en scène, pour ne plus en sortir. Elles, filles de Danaos, descendant à la troisième génération d’Epaphos, fils d’Io, né en Egypte, fuient leur terre natale afin d’échapper à leurs cousins qui les poursuivent pour les épouser de force. La violence faite aux femmes est imminente et l’accueil de l’étranger s’impose, au royaume d’Argos, comme une menace, la source d’un conflit presque inéluctable que Pélasge redoute car, il sait bien que les décisions royales ne sont pas faites pour être respectées si le peuple ne s’en porte pas garant. L’enjeu est double, consentir à accueillir les Danaïdes et risquer une guerre ou bien outrager le droit des faibles et des suppliants en repoussant cette demande d’asile.

C’est au salon Roger Blin du Théâtre de l’Odéon que la tragédie est donnée à entendre, dans un souffle puissant et musical que libèrent des comédiens emportés par la dévastation d’une fable qui porte en germe des thèmes d’une actualité brûlante. Parcourant l’estrade placée au milieu du public, les voix de l’antique malédiction retentissent avec lyrisme et poésie. Mireille Herbstmeyer, habillée de noir, accomplissant le destin de ces femmes égarées bien malgré elles, s’engage sans concessions dans une lutte sanguine pour le droit à l’asile. Elle fait entendre une multitude de supplications, par sa seule voix de tragédienne, en digne héritière de Rachel (1821-1858) qui « jouait la tragédie comme si elle l’inventait », affirmait Stendhal. Accompagnées de leur père, Danaos, les Suppliantes invoquent la bonté divine pour échapper au mal et à la violence qui pèsent sur leur déshérence. Vêtu d’un long manteau noir, investissant l’espace étroit et rectangulaire de l’aire de jeu, Philippe Girard, au regard sombre et déterminé, fend la foule des citoyens que nous sommes pour faire entendre les voix de l’espoir. Frédéric Giroutru, jeune et conquérant, incarne le roi Pélasge dans un déchirement de bonté et de raison. Les voix se mêlent, se rencontrent, s’opposent et offrent, à une partition lyrique et puissante, une interprétation faisant raisonner l’intelligence des mots et la profonde humanité du propos.

Olivier Py, propose une adaptation des Suppliantes, simple, bouleversante et touchante de vérité. Les traces d’archaïsme, dont l’oeuvre d’Eschyle a souvent été taxée, sont restituées par une puissante modernité qui fait entendre le vers racinien, mêlé à des ellipses propres à la tragédie grecque, emportant le spectateur dans l’aventure exaltante de la noblesse du verbe, d’où jaillissent par fulgurance, les thèmes délicats de la démocratie, du droit des gens, du respect des femmes, de l’étranger, de la justice et de l’hospitalité. Autant de sujets qui invitent à la réflexion, à la mise en perspective d’une création invoquant les figures tutélaires de la mythologie afin de montrer, au plus grand nombre, les thèmes récurrents d’une histoire plusieurs fois millénaires et pourtant toujours d’actualité.

Ce théâtre d’intervention, comme le nomme Olivier Py, quitte les murs de la sacro-sainte maison pour partir à la rencontre « de ceux et celles qui deviendront peut-être son public ». Avec ce second projet « hors les murs », l’Odéon part à la rencontre de ceux qui ne viennent pas encore au théâtre en proposant « une invitation au voyage dramatique dans une forme souple, spécialement créée pour être présentée dans les établissements scolaires, les locaux associatifs, les entreprises ou dans tout autre espace pouvant réunir une petite heure durant la parole et l’écoute ». Les représentations hors les murs auront lieu du lundi 8 mars au jeudi 8 avril 2010 dans une quarantaine de lieux auprès desquels les réservations sont possibles.

Les Suppliantes
D’après : Eschyle
Texte français, adaptation et mise en scène : Olivier Py
Avec : Philippe Girard, Frédéric Giroutru et Mireille Herbstmeyer

Du 22 février au 8 avril 2010
Puis dans le cadre de la
Trilogie Eshyle du 26 Avril au 21 Mai 2011

Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon, 75006 Paris – 01 44 85 40 40
www.theatre-odeon.fr

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