Critique d’Anne-Marie Watelet –
Lucidité, humour et renoncement : voici Mariette qui nous parle.
Albert Cohen reçut le Grand Prix de l’Académie Française pour son roman Belle du Seigneur, paru en 1968. A l’origine de ce spectacle, c’est le coup de foudre d’Anne Quesemand pour la lecture vivante d’Anne Danais, passionnée par le personnage de Mariette, la domestique de la belle Ariane. Une œuvre lyrique dont l’écriture fit merveille autant qu’elle étonna : des monologues décousus, sans ponctuation, un « tourbillon de mots » avec lesquels Mariette soliloque.
© Fabienne Rappeneau
Durant une heure vingt, celle-ci, toute à ses besognes, comme « briller » l’argenterie, se faire du café, coudre, lisser son accroche-cœur, témoigne de ce qu’elle voit de sa place de domestique –et elle voit tout ! – des figures qui l’entourent ; multiplie les anecdotes, livre ses réflexions sur le monde. Sa sœur tient une grande place dans son cœur. Elle chante aussi pour se donner du cœur à l’ouvrage (parlez-moi d’amour), en trottant dans sa cuisine. Elle conserve une tendresse indéfectible pour Ariane qu’elle a vu grandir, et progressivement, son errance verbale fait place aux récits de l’évolution d’Ariane, amoureuse tragique de Solal, son bel amant. Ce faisant, Mariette égrène les peines que lui procurent son comportement nouveau.
Les réflexions de cette femme simple, elle les énonce avec son langage teinté d’un accent –et cela mérite d’être signalé : l’accent des Deux-Sèvres, héritage des grands-parents de la comédienne. Dans son flot de paroles, son vocabulaire imagé et ses expressions cocasses nous font rire. Le rythme musical qui s’en dégage est « l’essentiel du travail de la comédienne et le souci premier de la direction d’acteur », souligne le metteur en scène, A. Quesemand. Jamais théâtrale, la gestuelle de Mariette reste modeste, authentique et ses menues activités n’entravent jamais son monologue. Quelle justesse aussi dans le ton, la diction, pour dire un texte aussi particulier ! A elle seule elle crée son petit univers –grand dans sa tête, celui d’une domestique qui s’est toujours dévouée à ses maîtres, tout en s’effaçant. A. Quesemand a utilisé les précieuses indications d’Albert Cohen dans son roman, pour « nourrir la mise en scène » et « dessiner une silhouette ». Les tâches de Mariette permettent de dégager la chronologie des monologues qui, comme dans le roman, s’étale sur plusieurs années. Quatre tableaux de durée inégale marquent les étapes.
© Joël Mathieu
Le travail sur la lumière est révélateur : au gré des humeurs de Mariette, elle est claire et chaleureuse, puis, se fait froide lorsque le personnage témoigne, toujours de façon comique dans son parler, de la tragique passion de la Belle du Seigneur.
Il faut à tout prix aller voir cette pièce, fruit d’une belle collaboration enthousiaste entre le metteur en scène et la comédienne qui excelle à jouer des rôles de domestiques (Célestine du Journal d’une femme de chambre, les Bonnes…). Son choix judicieux des extraits, est représentatif de l’écriture propre à l’auteur. Anne Danais assure la direction de La Maison du Chat Bleu créée en 2002, association à vocation culturelle en milieu rural : théâtre, chant, poésie, expositions… à St Salvinien en Charente Maritime.
Les Soliloques de Mariette
De : Albert Cohen, extraits de « Belle du Seigneur »
Mise en scène : Anne Quesemand
Avec : Anne DanaisDu 25 septembre 2010 au 2 janvier 2011
Théâtre du Petit Montparnasse
31 rue de la Gaité, 75014 Paris
www.theatremontparnasse.com