Critiques // « Les Retrouvailles » d’Arthur Adamov au Théâtre de la Tempête

« Les Retrouvailles » d’Arthur Adamov au Théâtre de la Tempête

Mar 16, 2011 | Aucun commentaire sur « Les Retrouvailles » d’Arthur Adamov au Théâtre de la Tempête

Critique d’Anne-Marie Watelet

Enfin une pièce d’Adamov à voir dans un de nos bons théâtres parisiens ! Gabriel Garran présente « les Retrouvailles » (1954) à la Tempête.

Le rêve d’un pouvoir castrateur ou expression de la difficulté et de la peur d’être et de communiquer ?

Nous sommes en gare de (…). Un jeune étudiant manque le train qui doit le ramener chez sa mère et auprès de sa compagne. Mais voilà que deux inconnues l’accostent, qui semblent l’attendre. Etrange… D’autres trains passent, mais Edgar ne parviendra pas – plus ? à partir. Il tombe d’abord dans le piège de ces sirènes : il se livre, se perd dans les méandres de la parole puis s’enlise… jusqu’à devenir la possession de ces femmes (mère-fille) : de l’enfermement physique, intellectuel, à la régression. Lorsque l’étau se détend, il est bel bien dépossédé de lui-même, et son cri de désespoir n’y pourra rien .

Le sens que prend ce drame, pour ne pas dire cette tragédie (la mort du moi d’Edgar), c’est d’abord la crise du sens – l’incompréhension des êtres entre eux, et par suite la domination du plus fort… « Ces expressions toutes faites n’ont pas de sens ! Te mettre à la place de… On n’est jamais à la place de quelqu’un, on est ce qu’on est ! » répond le jeune homme à Louise. Et qu’est-ce qui a encore du sens, se demande l’auteur (comme ses proches contemporains Beckett, Kafka, Ionesco…) parmi les dépouilles qu’ont laissées deux guerres ? L’ombre du pouvoir dictatorial plane, ce pouvoir qu’Edgar ne comprend pas chez Louise et sa folle de mère, mais dont il est la victime, comme est une victime l’élève dans « La Leçon » de Ionesco. C’est par le langage qu’Edgar tente de se défendre, comme un poisson, bouche béante sur l’étal de son sacrifice, dont les sursauts pathétiques annoncent la mort imminente. Et il ploie sous les manipulations de l’une qui en fait sa chose, de l’autre son enfant à dorloter, son chien à promener. Mais si tout cela est un rêve, n’est-ce pas alors une lutte du subconscient pour son salut ? Agir plutôt que « dormir sa vie », comme le souligne Gabriel Garran à propos d’Edgar.

Ainsi, à travers ce trio coincé dans un étouffant huis- clos, Adamov fait apparaître les hantises de ses contemporains et les siennes propres.

Une mise en scène soucieuse des messages chers à l’auteur, mais une conduite d’acteurs peu convaincante.

Le décor réaliste ne changera pas. L’atmosphère confinée de l’intérieur où vivent les femmes est assez bien rendue. Le rythme soutenu des déplacements et des dialogues donnent vie à l’ensemble, et ce, grâce aux rôles féminins. Mais était-ce utile que Marie-Armelle Deguy (la mère) et Soazig Oligo (donc la fille) jouent et parlent comme des coquettes en goguette? Leur gestuelle et leur voix précieuses à outrance font penser aux personnages-types de la comédie de salon. Toutefois, rendons grâce à l’intensité de leurs expressions nuancées qui renvoient au caractère mystérieusement maléfique de la femme (surtout Marie-Armelle Deguy, en femme fatale et plus mûre), sous des dehors de gaieté ou d’innocence. Stanislas Roquette qui est Edgar, rôle de timide passif, certes, devrait cependant donner plus d’épaisseur à son personnage. Avec sa gaucherie excessive et son phrasé trop appliqué, il manque de justesse. Heureusement, à mesure que le drame se déroule, son jeu devient plus maîtrisé, son corps et ses propos plus habités, notamment lors des tirades poétiques. Une bouffée de fraîcheur nous parvient avec la brève apparition de la jeune fille évanescente, vision onirique d’Egar.

Une fiction intéressante, dont le protagoniste nous incite, comme son auteur, à nous pencher sur quelques aspects essentiels de notre vie. L’adaptation de Gabriel Garran met en valeur les dialogues pleins de vigueur, mais nous aurions aimé sentir plus d’émotion chez les comédiens dont l’interprétation étonne parfois. Il reste que l’on capte les directions de lectures possibles avec l’auteur.

Les Retrouvailles
De : Arthur Adamov
Mise en scène : Gabriel Garran
Assistant mise en scène : Bruno Subrini
Scénographie : Jean Haas
Lumières : Phlippe Groggia
Costumes : Hanna Sjödin
Espace sonore : Pierre-Jean Horville
Avec : Matie-Armelle Deguy, Soazig Oligo, Stanislas Roquette, Estelle Sebek

Jusqu’au 10 avril

Théatre de la Tempête
Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75 012 Paris – Réservations 01 43 28 36 36
www.la-tempete.fr

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