© Hervé Bellamy
ƒƒ article de Denis Sanglard
Alors que claudique vers le trône le futur Richard III, tandis que ne finit pas d’agoniser Edouard IV, que Gloucester s’apprête à assassiner deux enfants, dans les coulisses du pouvoir vacillant six femmes, six reines, attendent. Celle qui a tout perdu, Marguerite d’Anjou, celle qui a tout à perdre, Elizabeth, celle qui n’a rien à perdre, Isabelle Warwick. Celle qui n’attend rien, Anne Dexter, celle qui attend tout, Anne Warwick. Celle qui a tout donné, la duchesse d’York. Bataille de reines pour un pouvoir, le seul qui leur est donné, le verbe. Un verbe flamboyant, acre, brûlant, lyrique, exercice de style shakespearien vite affranchi par Normand Chaurette, dramaturge québécois. Dans ce donjon brumeux, dans les coulisses d’une pièce, Richard III, qui se fait sans elles, quasi muettes mais à la parole rare et lyrique, et dont, personnages pirandelliens, elles s’extraient, elles s’affrontent. Pouvoir, ambition, rancœurs, rivalité, haine, amour, souffrance… Il ne s’agit bientôt plus de la couronne d’Angleterre mais de leur histoire dans l’Histoire. Destin douloureux, broyées par l’ambition des hommes, contaminées par eux, elles rêvent de s’emparer du trône, revanche éclatante et illusoire. Régner, même dix secondes comme la vieille duchesse d’York, mère de rois, qui n’a jamais régnée. Toutes sauf Anne Dexter, sœur des rois, mutique et manchote d’avoir trop aimé son frère Edouard, elle qui n’est rien, « qui est à la langue ce que zéro est à nos nombres. » Et c’est bien cette langue poétique et farouche qui est l’enjeu réel de cette tragédie sombre, crépusculaire, et de cette mise en scène sobre et fluide. Une langue qui vous transperce comme une dague affutée pour un corps à corps, aiguisée par ces reines affolées se disputant une couronne qui leur glisse du front. Une langue qui fait tenir droite et ne jamais tomber, ne jamais renoncer ces femmes proche de vaciller. Dans une scénographie épurée, où il n’y a d’obstacle que la brume, ce plateau bifrontal est une arène où les corps s’évitent, où seul le verbe heurte, frappe, gifle, cingle et jamais ne caresse. Seule Anne Dexter, sortie de son mutisme, hurle son amour et son manque. Et c’est bouleversant et sans doute la clef de cette tragédie que ce personnage qui n’existe nulle part ailleurs que dans la pièce de Normand Chaurette… Elizabeth Chailloux, par sa mise en scène nue, sans aspérité, donne au verbe tout son poids de chair, incarné par des comédiennes embrassant, embrasant leur texte et leur rôle royalement avec une sensibilité d’écorchée, une urgence que la mort d’Edouard et le pas boiteux et heurté de Richard rôdant accélère. On peut regretter quelques effets inutiles, scories qui parasitent et brisent soudain l’écoute attentive. Un « God save the queen » par trop intempestif et répétitif à l’évocation du mot de reine. Et pourquoi donc des patins à roulettes chaussant Anne Dexter et Anne Warwick ? Inutile. Mais ce ne sont que des détails dans cette guerre des roses où les reines font mat.
Les Reines de Normand Chaurette
Mise en scène d’Elisabeth Chailloux
Collaboration artistique Adel Hakim
Scénographie et lumière Yves Collet
Collaboration lumière Léo Garnier
Costumes Dominique Rocher
Son Philippe Miller
Vidéo Michaël Dusautoy
Maquillage Nathy Polak
Marionnettes Einat Landais
Assistante à la mise en scène Isabelle Cagnat
Avec Bénédicte Choisnet, Sophie Daull, Pauline Huruguen, Anne Le Guernec, Marion Malenfant, Laurence Roy
Du 12 au 29 janvier 2018 à 20h, le jeudi à 19h, le samedi à 18h, le dimanche à 16h
Relâche le mardi
Théâtre des Quartiers d’Ivry
Manufacture des Œillets
1 place Pierre Gosnat
94200 Ivry-sur-Seine
Réservations 01 43 90 11 11
comment closed